2 « No Mistrals for Putin », la construction empirique d’un mouvement citoyen
2.1. Fronde marginale
2.2. Introspection
2.3. Etincelle
2.1. Fronde marginale
Dimitri Halby, Bernard Grua et Clément Chenaux qui ne se connaissaient pas à l’époque, ont assisté, chacun de leur côté, à certains événements de la Révolution de la dignité ukrainienne. Le premier est un Normand vivant en Irlande, marié à une Ukrainienne russophone de Kherson. Le second est un Lorientais breton vivant à Nantes et lieutenant de vaisseau de réserve. Il a réalisé des expéditions en Sibérie et s’intéresse depuis quelques années à l’histoire russe ainsi qu’au système politique de Vladimir Poutine. Le troisième est un Parisien vivant à Kiev et contributeur de l’Express pour les évènements ukrainiens. Ces trois Français ne pouvant admettre que leur pays se compromette dans une collaboration militaire avec un régime devenu aussi prédateur, et irrespectueux de ses engagements internationaux, n’acceptant pas que la République arme un tel agresseur, décident d’alerter l’opinion française sur l’insupportable compromission que présente, à leurs yeux, la déshonorante affaire Mistral. Ils créent, le 11 mars 2014, un groupe de travail pour collecter les informations disponibles, étudier les caractéristiques des Mistral, en évaluer le danger et examiner la validité des motifs s’opposant à l’annulation du contrat. Ils reçoivent des sourires polis et suscitent quelques réactions d’indignation mais, sauf exceptions, rares sont les personnes souhaitant s’investir sur ce sujet.
A cette époque les partisans de la livraison argumentent principalement sur la sauvegarde de l’emploi à St Nazaire, alors que les perspectives économiques de la construction navale se sont considérablement redressées depuis 2011. Sans même les Mistral, le chantier STX bénéfice d’un carnet de commande pléthorique et se trouve dans une situation de plein emploi. D’autres expliquent doctement que ces navires d’invasion ne sont pas des bâtiments de guerre mais des car ferries, de grosses barges ou des navires hôpitaux.
Le 22 mars 2014 dans un éditorial du « Point« , Jean Guisnel avertit, dans l’indifférence générale, comment « la Russie est susceptible d’utiliser les Mistral contre nos alliés directs« .
2.2. Introspection
En mai 2014, les rares activistes constatent qu’ils maîtrisent maintenant bien le dossier mais qu’ils n’arrivent toujours pas à faire diffuser leur cause ni à activer des acteurs généralement impliqués dans la défense des droits de l’homme ou contre la prolifération des armes. Ils comprennent que même s’ils parviennent à mobiliser difficilement quelques centaines de personnes en France, il y a de grands risques qu’ils ne soient pas entendus par le pouvoir politique. Ils envisagent donc des actions publiques autonomes dont l’objectif devient médiatique afin de faire connaître ce que sont les Mistral, de tenter de contrer la propagande pro-livraison, d’alerter la société civile française et internationale, de faire pression sur les Dirigeants de la France et de montrer aux hommes politiques de nos partenaires qu’ils doivent résolument prendre position, soutenus par une population consciente de la menace que représenteront ces navires.
2.3. Etincelle
Il faut, tout d’abord, que le Monde voit à quoi ressemblent les BPC et qu’il comprenne ce qu’ils sont réellement. Le vendredi 9 mai 2014, Bernard Grua prend des photos du Vladivostok avant de rendre ses images publiques sous licence « creative common » afin qu’elles puissent être utilisées par tous. Au même moment, il est photographié, « pour donner l’échelle », par Jean-Baptiste Evrard de l’AFP, qui se disait, aussi, qu’il allait lui falloir des images de ces navires. Cette coincidence étonnante n’est apparu que plus tard en raison de la popularité de l’image de Jean-Baptiste Evrard.


Sur les quais, un jeune homme, qui trempe sa canne à pêche dans le bassin de Penhoët, tout en retenant son énorme chien par le collier, explique: « Oui mon père a travaillé sur le bateau russe. Mais, nous, on pense qu’on ne pourra pas le livrer. L’Europe ne voudra pas. » A côté, dans un café, le tenancier et un client parlent du fait que le navire doit prochainement sortir pour essai: « On a demandé à Gilbert de pousser son canot’, qui gène pour sortir le « Vlad » par Joubert (la grande forme écluse)« . L’activiste va donc s’enquérir auprès de la capitainerie du mouvement prévu. La discussion, par interphone interposé, ne donne pas de résultat précis. Ne sachant pas quand ce navire doit rentrer, il organise une « flash mob », à St Nazaire, le dimanche 11 mai 2014, tant que le Vladivostok s’y trouve encore. Cet événement totalise 9 personnes. Pourtant, les photos se diffusent sur les réseaux sociaux et des messages encourageants commencent à se faire entendre. S’inspirant du mouvement Euromaidan, les activistes lancent un collectif international appelant à manifester, en France, devant les BPC et, à l’étranger, devant les ambassades ou les consulats français. Clément Chenaux, à Kiev, y crée un « Comité Mistral ».
11 commentaires sur « Qu’est-ce que nous a appris, sur la France, l’affaire des Mistral? »