Le navire russe « Shtandart » basé dans le port de La Rochelle est familier des côtes françaises où il exerce une activité commerciale ouverte, sans préjuger d’éventuelles autres missions. Ce faisant, il viole le cinquième volet des sanctions européennes et, dans ses caractéristiques ainsi que dans son mode de fonctionnement, il peut représenter un risque pour les intérêts français.
La frégate russe « Shtandart » est une réplique du premier navire de Pierre Le Grand, lancée en 1999. Elle a été construite avec le soutien de la municipalité de Saint-Pétersbourg, à l’époque où Anatoli Sobtchak en était le maire. Un des plus proches conseillers de Sobtchak était Vladimir Poutine. Le Shtandart est immatriculé à Saint-Pétersbourg, Russie. Il navigue sous pavillon russe. Il est la propriété de l’organisation « Shtandart Project », domiciliée à Saint-Pétersbourg, dont plus de 60 % des quirats sont détenues par Vladimir Martus, le capitaine. Les 40% restants sont dans les mains de personnes proches de Vladimir Martus. Ce dernier est donc, dans les faits, le propriétaire-armateur d’un navire, que l’on peut considérer comme un yacht privé.
Vladimir Martus est né (1966), a grandi, et a fait ses études à Leningrad, redevenue Saint-Pétersbourg. Il est de nationalité et de citoyenneté russe. Son domicile est à Saint-Pétersbourg. C’est là que vivent sa femme et ses enfants, qu’il revoit une fois par an, lors de la période de Noël (7 janvier en Russie), à Saint-Pétersbourg ou dans des lieux plus exotiques et plus ensoleillés.
L’activité commerciale du Shtandart s’exerce par des visites payantes, des sorties en mer pour touristes, la participation à des festivals maritimes, le tournage de films et l’appel à la générosité du public français. Les fonds reçus sont virés sur un compte ouvert dans un établissement financier russe, l’Alfa Bank, domiciliée à Saint-Pétersbourg.
Auprès des responsables, du public et des médias français, le réseau d’influence pro-russe du Shtandart promeut une fable très étoffée propre à séduire l’opinion de notre pays. Mais celle-ci ne résiste pas à la confrontation avec des sources de langue russe, y compris celles de la main de Vladimir Martus, comme le montrent deux exemples:
a) Vladimir Martus n’est pas un opposant:
Michel Balique, président de l’Association des « Amis des Grands voiliers », VRP et lobbyiste déterminé du Shtandart annonce que le capitaine serait un opposant viscéral au Kremlin, depuis de longues années, et qu’il ne pourrait plus rentrer en Russie.
Il faut savoir que notre ami Vladimir a quitté St Pétersbourg en 2009 à bord de son voilier précisément parce qu’il était en total désaccord avec la politique du Président de la Russie. Il s’est volontairement exilé sur les mers pour que son voilier ne risque pas d’être saisi par les autorités russes. Depuis 13 ans il n’a jamais pu retourner sur ses terres natales.
Michel Balique 22/03/2022
Vladimir Martus, était chez lui à Saint-Pétersbourg du début janvier à la mi-février 2022. En octobre 2021, le Shtandart a représenté la Russie lors du 250e anniversaire de la victoire navale de Tchesmé en Mer Égée. Au cours de la même expédition, il a aussi servi de support pour une recherche archéologique sous-marine sur des épaves russes. L’événement était organisé par la Société géographique russe (RGS), dirigé par Sergey Choïgou, ministre de la Défense russe. Le Conseil d’administration de la société est composé principalement d’hommes du Kremlin, de proches du Kremlin et d’oligarques sous sanctions. Le Conseil d’administration est présidé par Vladimir Poutine. L’expédition a bénéficié du haut patronage du président de la Fédération de Russie. Elle a été financée par le fonds de subventions de l’Administration présidentielle russe. Ce n’est pas là le sort que la Russie réserve à ses dissidents.
2. Le litige du Shtandart (2007-2020) n’était pas politique, mais concernait la violation des règles de sécurité de l’autorité de tutelle, le ministère des transports.
Il est fréquemment précisé que le Shtandart ne peut plus rentrer en Russie à peine d’être saisi. Il est vrai que le navire a été en litige avec son autorité de tutelle, le ministère des transports, à partir de 2007, en raison de multiples violations de la réglementation en terme de sécurité des dizaines de passagers, dont des enfants. Afin d’éviter les sanctions, Vladimir Martus a fuit en Europe avec le Shtandart en 2009. A la mi-juillet 2020, les poursuites ont été abandonnées. Vladimir Martus a obtenu tout ce qu’il voulait. Il est libre d’entrer et sortir des ports russes. L’annonce de la résolution du litige a suivi de huit jours l’annonce de l’expédition de Tchesmé par la Société russe de Géographie.
Le navire russe Shtandart est, à l’évidence, un ambassadeur et un instrument du soft-power du Kremlin. De plus, il pose potentiellement un problème de sécurité nationale. Depuis la mise en place des sanctions très peu de navires de commerce russes et, a fortiori, aucun bâtiment de guerre russe ne visitent notre territoire. Les sources de renseignements russes se sont raréfiées. Le Shtandart a pris une nouvelle importance pour son gouvernement. Avec son faible tirant d’eau de 2,5 m, il peut se faufiler dans tous les ports, criques et abris de nos rivages. Il ne s’en prive pas. Avec les 33 m de son grand mât, il offre une plateforme de renseignement exceptionnelle pour des enregistrements vidéo ou photographiques, voire pour des écoutes aériennes ou sous-marines. À ce titre, il faut mentionner, au cours de l’été 2022, les navigations du Shtandart en mer d’Iroise, lieu de transit de nos SNLE (sous-marins Nucléaires Lanceurs d’Engins). Le Shtandart a, aussi, été présent à Camaret et à Brest, au cœur de la base de la FOST (Force Océanique Stratégique). Le bateau russe a la possibilité de visiter les autres ports militaires de Toulon, Lorient et Cherbourg ou les sites DGA Essais de missiles (DGA EM), Biscarosse et Ile du Levant. Il faut peut-être y voir là une des raisons expliquant, depuis le 6 juin 2022, la désactivation de son AIS (système d’identification et de localisation), en violation du chapitre V de la convention SOLAS.



Il apparaît nécessaire de se pencher sur les sources russes afin de révéler au grand public et aux autorités de la France la dimension propagandiste et inexacte de la fable du Shtandart. Il convient de comprendre les mécanismes des réseaux d’influence et de compromissions qui ont réussi à imposer la présence illégale de ce navire russe dans notre pays. Dans un contexte international où la menace nucléaire a été brandie à de nombreuses reprises par les dirigeants russes, il ne faut pas sous-estimer l’enjeu de sécurité que peut présenter la frégate russe. Enfin, rappelons que le Shtandart ne rentre dans aucune des dérogations prévues au cinquième volet des sanctions européennes. En conséquence, il doit lui être notifié l’interdiction de pénétrer dans nos ports, sous peine de poursuites.
Lieutenant de Vaisseau (R): Bernard Grua
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