URL courte – https://bit.ly/shtandart-baiona-fr
Après le début de l’invasion russe en Ukraine, lorsque le navire russe Shtandart est arrivé en France, la plupart des journalistes ont utilisé le narratif lobbyiste créé par le président de l’association « Les Amis des Grands Voiliers – Sail Training Association France ». Ils se sont également appuyés sur les dires des agents français de ce navire russe. Ils n’ont pas cherché à utiliser d’autres sources. En effet, la majeure partie de l’histoire réelle du Shtandart, bien que disponible en ligne, est en russe. La fable est ensuite arrivée en Espagne.
Les graves événements, survenus à La Rochelle en mai et juin 2022, ont permis d’y voir plus clair dans la fiction qui s’est mise en branle. Il est désormais possible d’apporter des éléments complémentaires, voire contradictoires, à l’article « La frégate russe Shtandart surprend à Baiona », de Mónica Torres, publié le 18 mai 2022 dans la Voz de Galicia. Il serait judicieux que ce journal apporte une correction à son texte à la lumière des faits qui lui sont présentés aujourd’hui.
Les titres du papier suivant sont des citations de l’article de la Voz de Galicia.
- Le voilier, auquel son pays a fermé les portes
- L’équipage du Shtandart est majoritairement ukrainien.
- Sa présence avec le drapeau russe n’est pas passée inaperçue dans la ville en raison des méfiances suscitées par l’invasion de l’Ukraine et en raison des restrictions qui ont été imposées également dans le trafic maritime.
- C’est un navire qui fonctionne comme un navire-école.
- A bord du Shtandart, navigue un équipage composé d’étudiants et de marins de différentes nationalités.
- En fait, parmi les drapeaux qu’il porte, se trouve aussi celui de l’Ukraine.
- Une « activité spéciale, avec l’interculturalité, les réfugiés et les migrants en toile de fond ».
- La Russie a fermé ses portes pour des raisons politiques.
- En raison de leur pavillon soviétique, ils n’ont pas pu être présents à des événements auxquels ils avaient, paradoxalement, déjà participé. Ceci s’ajoute aux mesures de la réglementation internationale prises contre l’invasion de l’Ukraine.
- Un navire apatride, battant pavillon russe.
- Un équipage qui prône la solidarité des gens de mer.
Le voilier, auquel son pays a fermé les portes
Nous sommes dans l’attente du « Shtandart à Saint-Pétersbourg ! »
Vladimir Martus, JuILLET 2020
À partir de 2009, il y a eu un litige administratif, typiquement russe, concernant l’immatriculation du Shtandart. https://www.spb.kp.ru/daily/24389.4/567498/. Le capitaine Martus appelait cela une « tourmente bureaucratique ». Le litige est réglé depuis 2020. La résolution du conflit est confirmée dans l’article de Komsolmoskaya Pravda du 20 juillet 2020: « La légendaire frégate Shtandart peut retourner à Saint-Pétersbourg après son exil. Le navire a reçu des permis de navigation en Russie »(Ru) . Le même jour, le site web du Shtandart a partagé cette information qui est toujours en ligne « Nous sommes dans l’attente du « Shtandart à Saint-Pétersbourg ! » (Ru). Il prévoyait d’être à Saint Pétersbourg au cours de l’été 2021. L’épidémie du COVID et les opportunités commerciales du Shtandart en ont décidé autrement.
En 2014, des journalistes de RT (média d’Etat russe, sous contrôle du Kremlin) ont réalisé un film à bord du Shtandart comme le rappelle Irina Koloskova, le 11 juillet 2022 sur VK (le Facebook russe) https://vk.com/wall29761828_69. Il s’agissait d’une navigation entre les Canaries et Cherbourg. Voir Ouest-France (09/04/2014) .
En octobre 2021, le Shtandart a été mandaté par le gouvernement russe pour participer à une mission en mer Egée sous le haut patronage du Président russe, Vladimir Poutine. Lire : https://bit.ly/shtandart-greece-putin-mission (En).
Entre le début janvier 2022 et la mi-février 2022, le capitaine du Shtandart, Vladimir Martus, est rentré chez lui à Saint-Pétersbourg. Il l’a annoncé sur son compte VK le 17 janvier 2022 https://vk.com/wall354135_3640. Pendant cette période, le Shtandart, qui était en Grèce, était sous le commandent de Dmitry Ryabchikov https://vk.com/wall104860_2118.
L’équipage du Shtandart est majoritairement ukrainien.
Pour ce qui est de l’Ukraine, aujourd’hui, le 18 juillet 2022, sur le bateau, il y a seulement Ulyana, une jeune femme de 30 ans, amie du capitaine, rencontrée sur une plage de Nice. Et il y a aussi la chanteuse, de langue russe, Ekaterina Gopenko, qui fait des passages à bord, depuis janvier 2022 comme on peut le lire sur VK https://vk.com/wall-3533341_58589. Les hommes ukrainiens qui étaient à bord ont été mobilisés. Ils défendent, aujourd’hui, leur pays contre l’invasion russe.
Sa présence avec le drapeau russe n’est pas passée inaperçue dans la ville en raison des méfiances suscitées par l’invasion de l’Ukraine et en raison des restrictions qui ont été imposées également dans le trafic maritime.
Comme il l’indique, le 10 juillet 2022, Javier H. Rodríguez dans le Faro de Vigo « Une frégate russe contourne les sanctions et se dirige vers Vigo », la présence du Shtandart dans un port occidental est une violation du cinquième paquet de sanctions de l’Union européenne. Le règlement (UE) 2022/576 du Conseil du 8 avril 2022, dans son article 3e bis, établit qu’il est interdit d’accorder l’accès, après le 16 avril 2022, dans les ports situés sur le territoire de l’Union européenne, à tout navire immatriculé sous pavillon russe. Il est probable que l’Espagne se soit inspirée de la dérogation autorisée par la Première ministre de la France, dont les justifications, présentées par le président de l’association « Les amis des grands voiliers », sont pour la plupart infondées ou obsolètes. Cette exception est contestée en Ukraine auprès de l’administration présidentielle, auprès du groupe d’experts Yermak-MCFaul, veillant à l’application des sanctions, et auprès de la Commission européenne. https://bit.ly/shtandart-infraction-sanctions. De même, Oleh Sentsov et Roman Sushchenko, anciens prisonniers politiques du Kremlin, ont écrit à la Première ministre de la France pour mettre fin à cette exception, qu’ils jugent injustifiée https://bit.ly/Shtandart-lettre-sentsov- sushchenko. Une trentaine d’organisations représentatives des Ukrainiens de France se sont jointes à leur demande. Enfin, ce traitement dérogatoire est encore plus contesté en Galice (Espagne) https://bit.ly/shtandart-petition-vigo-fr.
Concernant la réglementation du trafic maritime appliquée par le Shtandart, voici ce qu’ajoute Marta Skyba, présidente de l’Association des Ukrainiens de Galice :
Je renvoie textuellement selon les informations vérifiées par le Faro de Vigo concernant les propos du journaliste et militant français Bernard Grua, qui affirme : « Et ce qui est encore plus inquiétant, (le navire) a désactivé son système d’identification AIS depuis le 6 juin 2022, masquant ainsi sa position , son itinéraire, sa vitesse et sa destination ». Comme le font les navires russes qui ont volé des milliers de tonnes de blé dans les ports ukrainiens contrôlés par les terroristes russes. https://www.20minutos.es/noticia/5004418/0/imagenes-tomadas-por-satelite-muestran-el-robo-de-grano-ucraniano-por-los-rusos/
C’est un navire qui fonctionne comme un navire-école
Rappelons que le Shtandart se qualifie lui-même de navire-école bien qu’il ne travaille pas pour un établissement d’enseignement de la navigation. Il n’a donc rien en commun avec les voiliers Juan Sebastián de Elcano pour l’Espagne, Sedov et Kruzenshtern pour la Russie, Étoile et Belle Poule pour la France. A tout le moins, depuis début mars 2022, deux mois et demi avant l’article de la Voz de Galicia, le Shtandart ne naviguait plus comme navire-école. Cela a été reconnu par son capitaine Vladimir Martus. Il a déclaré à France 3 TV, le 8 mars 2022 : « Dans la situation actuelle, nous avons décidé d’arrêter notre programme de formation à la navigation ». En effet, son activité consiste plutôt en des prestations commerciales pour le tournage de films ou pour la participation à des événements maritimes. Il propose également des sorties en mer, de un (75 € > 25 ans / 45 € < 25 ans) ou plusieurs jours, pour passagers payants. Par exemple, le trajet Douarnenez/Vigo coûte 695 €.
A bord du Shtandart navigue un équipage composé d’étudiants et de marins de différentes nationalités.
Cela n’a rien d’exceptionnel. Comme pratiquement tous les navires russes, y compris ceux des oligarques, et comme de nombreux grands voiliers, le Shtandart navigue avec un équipage international. Il est rappelé que les sanctions se réfèrent aux bateaux et à leur pavillon d’immatriculation. La nationalité de l’équipage n’entre pas en ligne de compte.
En fait, parmi les drapeaux qu’il porte, se trouve aussi celui de l’Ukraine.
Le drapeau russe ne devrait pas être une menace pour le monde.
VLADIMIR MARTUS
Naïvement, les médias français et espagnols voient favorablement la présence simultanée du drapeau russe et du drapeau ukrainien sur le Shtandart. En revanche, cette exhibition indigne les Ukrainiens. Il suffit de poser la question aux Ukrainiens résidant dans les ports visités par le Shtandart. C’est ce que dit Marta Skyba, présidente de l’Association des Ukrainiens de Galice. https://bit.ly/shtandart-petition-vigo-fr
Vladimir Martus confirme que « le drapeau russe ne devrait pas être une menace pour le monde. La décision d’envahir l’Ukraine a été prise par un dictateur, qui est le seul responsable et la majorité des Russes sont contre lui et contre la guerre ». Mais malheureusement les faits nous disent le contraire : puisque sous le même drapeau que le capitaine arbore, de véritables atrocités sont actuellement commises contre la population ukrainienne (génocide, viols, exécutions, meurtres, pillages, massacres et destruction totale de villes entières) . Fait intéressant, le média russe gazeta.ru affirme contre les propos du capitaine que plus de 80 % des Russes soutiennent le travail de Poutine. https://www.gazeta.ru/politics/news/2022/04/22/17613776.shtml
A La Rochelle et Douarnenez, les autorités ont interdit au Shtandart de hisser son drapeau russe.
Une « activité spéciale, avec l’interculturalité, les réfugiés et les migrants en toile de fond ».
Pour son narratif, le Shtandart exploite les réfugiés d’Ukraine. Cela ne sert pas la cause des victimes de la guerre, mais celle du Shtandart. Il en profite pour faire appel à la générosité du public, pour lui-même. Cette dérive fit scandale à La Rochelle. Nous citerons ici les propos d’Oleksiy Goncharenko, député à la Verkhovna Rada et membre de la délégation parlementaire permanente de l’Ukraine auprès du Conseil de l’Europe dans une lettre adressée au maire de La Rochelle. https://bit.ly/shtandart-Oleksiy-goncharenko
J’apprends que l’association « Aidons l’Ukraine 17 », théoriquement destinée à aider nos ressortissants, a été purgées de la plupart de ses Ukrainiens, si ce n’est de tous. Ne restent plus aux commandes que des Russes ou des pro-Russes. J’ai eu l’écho de menaces exercées vis à vis de ceux qui ont été expulsés de cet organisme… Le but est clair : intimider les lanceurs d’alerte pour que l’association « Aidons l’Ukraine 17 », derrière un masque humanitaire, ne soit qu’un lobby en faveur de la frégate Shtandart au service du « softpower » russe. La paix des cimetières, les invitations à trinquer à bord et le faux glamour russe ont pour mission de faire diversion aux horreurs commises sur notre sol.
La Russie a fermé ses portes pour des raisons politiques.
Comme expliqué ci-dessus, les ports russes ne sont pas fermés au Shtandart. Le litige, qui s’est déroulé entre 2009 et 2020, n’avait aucun lien avec une forme d’opposition politique. C’était un cas, courant en Russie, de conflit d’intérêts, alliés à une bureaucratie kafkaïenne.
En raison de leur pavillon soviétique, ils n’ont pas pu être présents à des événements auxquels ils avaient, paradoxalement, déjà participé. Ceci s’ajoute aux mesures de la réglementation internationale prises contre l’invasion de l’Ukraine.
La phrase de la Voix de la Galice est inexacte.
Le drapeau soviétique est fréquemment hissé dans les territoires ukrainiens occupés par les forces d’invasion russes. Mais ce n’est pas celui que porte le Shtandart. Le pavillon russe qu’expose le Shtandart a été adopté par un décret de décembre 1993. Il correspond à six ans de présidence d’Eltsine et à 22 ans du régime de Poutine. Il représente donc, à 78%, le « dictateur Poutine ».
Il y a une guerre d’invasion russe en Ukraine, la plus abominable menée sur le continent européen depuis 1945. Les pays européens ont imposé des sanctions. Selon ces sanctions, le Shtandart devrait être banni des ports de l’UE. Cependant, le Shtandart a le privilège de continuer à visiter des ports français et espagnols, tout en participant à des événements nautiques, pour lesquels il est rémunéré : Cap d’Ail, Port de Bouc, Baiona, Pasaia, La Rochelle, Bilbao, Douarnenez et demain Vigo, La Coruña, San Sebastián , etc.
Un navire apatride, battant pavillon russe
Le Shtandart est immatriculé à Saint-Pétersbourg, Russie. Il navigue sous pavillon russe. Il est la propriété de la fondation « Shtandart Project » , domiciliée à Saint-Pétersbourg, dont plus de 60 % des parts sont détenues par Vladimir Martus, le capitaine. Vladimir Martus est né (1966), a grandi, et a fait ses études à Leningrad, redevenue Saint-Pétersbourg. Il est de nationalité et de citoyenneté russe. Son domicile est à Saint-Pétersbourg. C’est là que vivent sa femme et ses deux enfants. Voir: « Le capitaine Vladimir Martus et son rêve devenu réalité – la frégate Shtandart » (Ru)
Un équipage qui prône la solidarité des gens de mer.
Je ne laisserai pas la guerre entrer dans mon univers.
VLADIMIR MARTUS
Il ne faudrait pas, au nom de la « solidarité des gens de mer », pratiquer l’inversion victimaire. La tragédie se déroule en Ukraine, pas à bord du Shtandart. Le Shtandart peut naviguer en paix et en sécurité. Il peut, aussi, comme on l’a vu, retourner en Russie. Il peut, de plus, entrer dans les très nombreux ports des pays qui se sont abstenus de condamner la Russie lors de l’assemblée générale de l’ONU, le 2 mars 2022. Il peut, enfin, aller dans les ports des pays, encore plus nombreux, qui n’ont pas émis de sanctions contre la Russie.
Vladimir Martus le 24 février 2022 a écrit sur Facebook: « Je ne laisserai pas la guerre entrer dans mon univers » .
Il est possible d’ignorer la guerre et les crimes abominables perpétrés par l’armée russe en Ukraine, cela relève de la conscience de chacun. Toutefois, si l’on invoque la « solidarité des gens de mer » alors il faut prendre en compte la chaloupe « Anna Yaroslavna » d’Odessa et la tchaïka cosaque « Presvyata Pokrova » de l’association Kish de Lviv. Ces deux bateaux, à la différence du Shtandart, n’ont pas pu participer aux événements nautiques de l’été 2022. Ils n’ont donc pas bénéficié de l’attention des médias. Un des bateaux est au sec à Brest (Bretagne). L’autre est sur un terre-plein de Châteaulin (Bretagne). Leurs équipages risquent héroïquement leur vie, tous les jours, pour protéger l’Ukraine et leurs compatriotes des crimes de guerre et de l’invasion russes.
Un avis sur « « La frégate russe Shtandart surprend à Baiona », fiction et réalité »