Pourquoi la frégate russe “Shtandart” persiste-t-elle dans des recours judiciaires dont l’issue est déjà scellée ?

Pourquoi la frégate Shtandart continue-t-elle à multiplier des contentieux malgré l’issue déjà scellée de ses démarches ? Cet article analyse en profondeur les derniers recours engagés par Vladimir Martus dans cette persistance juridique paradoxale. Une lecture essentielle pour comprendre l’arrière-scène judiciaire de ce dossier emblématique.
Le présent texte expose des décisions de justice, des documents administratifs, des sources européennes et russes, des données économiques, les contentieux en cours et les précédents ignorés. 
Cet article rassemble, de manière méthodique et équilibrée, l’ensemble des pistes contribuant à tenter de comprendre la persistance des recours du navire russe “Shtandart”, MMSI 518999255. Toutes sont examinées avec la même rigueur, sans hiérarchie ni conclusion imposée. Il constitue une base de données analytique inédite, fondée sur des éléments factuels et documentés qui, pour certains, n’ont été ni publiés ni traités, à ce jour, par aucun média français.

⚠️ Précisions méthodologiques

Tous les  axes d’examen sont  abordés dans ce document. On envisage l’intérêt des avocats, la dimension psychologique, les pratiques relatives à la faiblesse de l’État de droit, les logiques de type “krysha russe”. On s’interroge sur le choix de la France comme cible ou le rôle potentiel de Vladimir Martus dans une stratégie de déstabilisation. Ces vecteurs sont formulés à titre d’hypothèses. Le collectif n’en privilégie aucune. Il n’affirme pas qu’une seule d’entre elles soit véridique.

No Shtandart in Europe se base exclusivement sur des sources primaires vérifiables et n’a pas vocation à produire des opinions ou à tirer des conclusions définitives sur les motivations personnelles ou stratégiques du capitaine du navire russe. Du fait de l’extrême irrationalité apparente de ces recours, le collectif a souhaité néanmoins lancer une réflexion ouverte, dans laquelle la participation et l’analyse critique de chacun sont les bienvenues.

PARTIE I
Constat objectif : des recours juridiquement et économiquement irrationnels

PARTIE II
Hypothèses liées à la personnalité et au référentiel de Vladimir Martus

PARTIE III
Hypothèses géopolitiques et informationnelles

PARTIE IV
Pistes ouvertes et clôture analytique

CONCLUSION


PARTIE I
Constat objectif : des recours juridiquement et économiquement irrationnels

I.1. Socle factuel et juridique (prémisses)

a) Précédents judiciaires

– Tribunal administratif de Rennes, ordonnance nº 2403878, 11 juillet 2024
– Conseil d’État, arrêté nº 496439, 18 novembre 2024
– Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), affaire T-446/24, 22 août 2025

Toutes les décisions résultant des procédures précédentes ont été défavorables aux plaignants.

b) Plaignants

Ces deux nouvelles procédures judiciaires, comme les précédentes, sont menées au nom de trois acteurs : 

  • Vladimir Martus, citoyen russe, capitaine et propriétaire de facto du Shtandart
  • MartusTVGmbH, société commerciale de Vladimir Martus, gestionnaire du navire,
  • Mariia Martus, fille de Vladimir Martus, propriétaire officielle du Shtandart, titulaire d’un passeport finlandais.

c) Nouveaux recours soumis

Le Télégramme, 25 novembre 2025 : …l’interdiction d’accès à tous les ports européens a été confirmée par le tribunal de la cour de justice européenne, lors d’une ordonnance rendue le 22 août 2025. Dernière décision juridique en date après celles, allant dans le même sens, rendues par le tribunal administratif de Rennes et le Conseil d’État, en 2024. Avocat du Shtandart, Maître Thierry Clerc précise qu’un pourvoi a été formé contre l’ordonnance du tribunal de l’Union européenne… et qu’une procédure au fond en nullité est toujours pendante devant le tribunal administratif de Rennes. Source 

I.2. Inefficacité juridique avérée

a) Recours au tribunal administratif (TA)de Rennes

Il s’agit d’un mémoire en réplique* introduisant une contestation de l’ordonnance nº 2403878 du 11 juillet 2024. Celle-ci validait l’arrêté préfectoral du Finistère interdisant l’accès du Shtandart aux ports du département.

* Le mémoire en réplique déposé le 4 octobre 2024 relève d’une instance distincte au fond. Il est formellement recevable, mais n’a plus d’effet juridique réel au regard des décisions déjà intervenues. 

Le document est consultable en ligne :  
-> Me Enard-Bazire, Me Thierry Clerc, « TA de Rennes Mémoire en Réplique annoté », 4 octobre 2024.

Il y apparaît des erreurs factuelles. Les arguments sont confus, généraux et répétitifs. Ils ont été utilisés dans les précédentes tentatives visant à contester la légalité de la décision préfectorale. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ayant déjà validé les positions du collectif No Shtandart in Europe, ce mémoire ne peut pas inverser le cours des décisions ni annuler l’arrêté.

La position juridique du Shtandart est inchangée. Le navire russe reste soumis aux sanctions et aux arrêtés préfectoraux .

b) Recours devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)

Les embarcations concernées par les sanctions sont définies au paragraphe 3(a) de l’article 3 sexies bis du règlement UE nº 833/2014. Le texte initial indiquait : « Tout navire relevant des conventions maritimes pertinentes ». L’article 4 nonies bis de la décision de politique étrangère et de sécurité commune (PESC) nº 2024/1744 du 24 juin 2024 a apporté une précision (« clarification » dans le texte en anglais) spécifiant« y compris les répliques de navires historiques ». 

Le premier recours du Shtandart devant la CJUE demandait l’annulation de cet amendement. La Cour a rejeté la plainte en spécifiant que, de toute façon, le Shtandart entrait dans le champ des sanctions portuaires depuis le 16 avril 2022.

Le deuxième recours du Shtandart, affaire AC-686/25, devant la CJUE, dont il est question ici, conteste cette « interprétation ». Une nouvelle fois, il sera tenté de démontrer que le navire russe n’entre pas dans le champ des sanctions en raison probablement :

  • de son nouveau pavillon de complaisance, Îles Cook depuis le 6 juin 2024
  • de son mode de construction, 
  • de son caractère « associatif » (non justifié), 
  • de sa gestion par une société (russe) domiciliée en Allemagne,
  • de sa vocation (contestable) de « navire école »,
  • de sa nouvelle propriétaire prête-nom, depuis le printemps 2024, une citoyenne russe ayant un passeport finlandais,
  • de sa dimension « culturelle » et « patrimoniale »…

L’action, si tant est qu’elle soit admise, a des chances extrêmement faibles. La décision précédente a confirmé les arguments du collectif No Shtandart in Europe.

Le recours n’a aucun effet suspensif sur les sanctions ou sur les arrêtés préfectoraux existants. Il n’a pas d’impact réel sur la légalité des actions contre le navire.

c) Recours sans effet et persistance paradoxale

Ces deux procédures partagent plusieurs caractéristiques :

  • elles ne suspendent aucune mesure,
  • elles n’ouvrent aucune voie juridique nouvelle,
  • elles s’inscrivent dans le cadre d’un isolement européen complet du Shtandart.

I.3. Irrationalité économique et opérationnelle

a) Impact financier sur le Shtandart et ses soutiens

Indépendamment de leur valeur juridique limitée, ces recours engendrent des coûts significatifs pour le Shtandart et ses soutiens. Entre les frais d’avocat, les dépôts de mémoire et les procédures devant la CJUE, chaque démarche mobilise des ressources significatives. Cependant, le navire fait état d’un manque de liquidité. Cela a été annoncé notamment dans la presse russe. 
-> RIA Novosti, « Фрегату « Штандарт » не хватает средств на ремонт » (La frégate « Shtandart » manque de fonds pour ses réparations), 17 octobre 2024 

Vladimir Martus lance des campagnes d’appel aux dons sur le site web du navire et sur ses réseaux sociaux.
-> Shtandart.eu, « Support the Shtandart ship » 

L’entité récipiendaire, Martus TV GmbH, y est présentée comme une association sans but lucratif. Il s’agit en fait d’une entreprise commerciale domiciliée dans une boîte postale de Hambourg. Elle est détenue, contrôlée et dirigée par le capitaine et propriétaire de facto du Shtandart. Il est utile de savoir que le Shtandart partage un certain nombre de pratiques communes à d’autres navires russes. Elles font, aujourd’hui, l’objet d’une attention soutenue de la part des pays occidentaux.
-> No Shtandart in Europe, « Pourquoi le navire sous sanctions Shtandart fait-il partie de la flotte fantôme russe ? » 25 juillet 2025

Plutôt que de modifier la situation juridique, de tels recours paraissent épuiser les ressources du Shtandart. Ils démontrent l’impossibilité pour Martus de soutenir durablement – par lui-même – une stratégie judiciaire coûteuse, tout en maintenant l’apparence d’une action continue.

b)  Impasse  opérationnelle

Selon Vladimir Martus, les prestations, lors des festivals maritimes, sont normalement la première source de financement du Shtandart. La participation à ce type d’événement est devenue impossible en Europe, y compris en France. La seule exception pour l’année 2025 fut la Semaine du Golfe dans le Morbihan, du 26 mai au 1er juin.
-> No Shtandart in Europe, « Que faut-il conclure de la participation de la frégate russe « Shtandart » à la Semaine du Golfe 2025 ? » 13 décembre 2025 

Il ne subsiste qu’une activité complémentaire. Elle consiste à prendre à bord des passagers payants, appelés « stagiaires ». Cependant, les possibilités d’embarquement et de débarquement se sont très fortement réduites créant de fortes incertitudes allant jusqu’à l’annulation des prestations. Le programme est devenu peu attractif. En août et sur une partie de septembre 2025, en pleine saison, le Shtandart est resté à quai à La Rochelle ou au mouillage sous le vent de l’île d’Aix.

A contrario, arrivée au cours de l’automne 2025, en Turquie, la frégate russe a pu participer à un tournage de film et enchaîner les croisières. Un témoignage y a fait état de la présence de 37 personnes à bord, équipiers et/ou passagers. L’auteur indique que ce nombre était très largement supérieur à l’effectif du Shtandart dans les pertuis charentais. Il semblerait donc logique que le navire reste en Méditerranée orientale.

En conséquence, les recours et l’objectif affiché de maintenir une présence dans les ports français apparaissent difficilement justifiables par des considérations économiques publiques.

I.4. Première hypothèse explicative minimale

Les principaux bénéficiaires du maintien de ces recours sont Me Thierry Clerc et les autres avocats du Shtandart. Chaque procédure génère des honoraires, et  nécessite de nouvelles démarches, leur causant ainsi un intérêt financier direct. On ne peut exclure le fait qu’ils  promettent de manière excessivement optimiste à Vladimir Martus un succès hypothétique, afin de le convaincre de poursuivre des recours juridiquement faibles et coûteux.

Cette dynamique suggère que Vladimir Martus n’agirait pas toujours de manière autonome. Il est possible que ses recours puissent être en partie instrumentalisés par ses avocats. Parallèlement, le capitaine du Shtandart doit constater que les interventions de ses conseils l’ont affecté tant financièrement que tactiquement. 

En attaquant l’arrêté du préfet du Finistère et en perdant son référé le 11 juillet 2024, Me Thierry Clerc a  été à l’origine d’une jurisprudence. Elle a causé, directement ou indirectement, les arrêtés préfectoraux des Côtes d’Armor, d’Ille-et-Vilaine et de la Manche où, jusqu’alors, le Shtandart faisait escale régulièrement. 

Il aurait été plus avantageux pour le navire russe de prendre acte du bannissement finistérien, de manière discrète. Il aurait pu poursuivre plus aisément son activité, là où il avait encore des opportunités de contournement du règlement européen. 

Au lieu d’agir avec réserve, Vladimir Martus a tenté de forcer l’accès à la rade de Brest, le 11 juillet 2024. Il en a été empêché par un patrouilleur de la marine nationale. Il a fait une communication médiatique centrée sur la dénonciation de la décision du préfet lors des fêtes maritimes de Brest 2024 et a tenu une réunion devant un public nombreux. Vladimir Martus y dénonçait l’ « injustice » européenne et la soumission de la France à Bruxelles. Plusieurs médias ont rendu compte de cet événement.
-> Ouest-France, « Une décision injuste de l’Europe ! » À Brest, le capitaine du navire russe banni à l’offensive », 17 juillet 2025 

L’action en référé était une initiative juridiquement contre-productive de la part des conseils du Shtandart. Mais le capitaine du navire a contribué à son impact négatif en lui assurant une large publicité. Elle ne pouvait plus être ignorée par l’opinion et les représentants de l’État. 

Quoi qu’il en soit, on ne peut vraisemblablement pas considérer que les conseils du Shtandart soient les seuls décisionnaires concernant ces contentieux. La personnalité de Vladimir Martus est probablement un des autres éléments déclencheurs.

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PARTIE II
Hypothèses liées à la personnalité et au référentiel de Vladimir Martus

II.1. Dimension psychologique de l’entêtement

Au-delà des aspects juridiques et financiers, l’entêtement de Vladimir Martus pourrait s’expliquer par une dimension psychologique. Son maintien de recours perdus d’avance semble relever de plusieurs mécanismes : 

  • la fierté personnelle et la protection de son image
  • la persistance face aux investissements déjà engagés (biais des coûts irrécupérables), 
  • un besoin de contrôle et de pression sur les autorités et sur le collectif
  • ainsi qu’une rigidité cognitive qui rend difficile l’acceptation d’une défaite.

L’état d’esprit de Vladimir Martus et son rapport aux autorités peuvent se comprendre à travers ses propos tenus, le 18 août 2024, sur la page Facebook de Shandart Project. Il faisait référence aux directives du préfet maritime commandant en chef pour l’Atlantique.

Shandart Project, 18 août 2024 : « Restrictions for port entry from Maritime administration is (sic) still in force. Sometimes it become (sic) even more ridiculous, see copies of their mails below. » Source 

Il convient également de rappeler le déroulement de son conflit avec l’inspecteur des transports des eaux du Nord en Russie, Dmitry Atlashkin. Ses infractions, ses erreurs et, déjà, son entêtement l’avaient amené à fuir les ports et les eaux russes, en 2009. On lira, ci-dessous, ce qu’il confiait, presque dix ans plus tard : 

Zhizn’ mechty, 2018 : “J’ai réussi à ce que nous soyons inscrits au registre fluvial. Et on nous a même donné la permission d’aller à Vyborg. Maintenant je comprends que c’était un grand geste, mais je ne l’avais pas apprécié à juste valeur… Je pense qu’aujourd’hui, je me comporterais avec plus de souplesse et de diplomatie dans de nombreux domaines. Mais alors j’étais jeune, sexy.” Source 

Pour plus d’information sur l’historique de Vladimir Martus il est possible de se rapporter à un ensemble de documents russes.
-> No Shtandart in Europe, “Bibliographie de Vladimir Martus, textes russes traduits en français”, 2007 à 2023.

Bien que cela puisse paraître surprenant, la personnalité de Vladimir Martus est un paramètre qu’il est nécessaire de prendre en compte dans une affaire impliquant l’État français, l’Union européenne et un représentant de la culture impériale russe.

Cette lecture psychologique serait un des éléments permettant de comprendre pourquoi, malgré l’évidence juridique et le coût élevé des procédures, Martus continue à engager des actions dilatoires. Il s’agirait alors autant d’un comportement de harcèlement procédural que d’une manifestation de motivations personnelles profondes. Mais il est tout aussi judicieux de prendre connaissance de la matrice qui a façonné le capitaine russe.

II.2. Décalage de socialisation juridique

Une hypothèse mérite examen : le décalage profond entre le cadre de référence dans lequel raisonne Vladimir Martus et celui d’un acteur socialisé dans un État de droit européen.

Face à des décisions juridictionnelles désormais concordantes et stabilisées un acteur français ou européen aurait très vraisemblablement renoncé à des contentieux non suspensifs, coûteux et dépourvus de toute perspective juridique crédible.

Or, le comportement observé dans l’affaire du Shtandart s’inscrit à rebours de cette rationalité. Il suggère une autre logique, dans laquelle le droit n’est pas nécessairement perçu comme un mécanisme destiné à trancher un litige, mais comme un outil parmi d’autres dans un rapport de force plus large, symbolique, politique ou informationnel.

Cette différence peut s’expliquer par des modes de socialisation juridique et politique distincts, marqués notamment par :

  • un rapport différent à la décision judiciaire,
  • une autre perception de la notion de défaite,
  • une valorisation possible de la persistance dans la confrontation.

La particularité du système russe est présentée dans un article d’Isabelle Mandreau. Son document peut permettre d’envisager de nouvelles clefs d’explication.
-> Le Monde, “En Russie, l’Etat de droit en question”, 17 juin 2019.

Il ne s’agit pas de porter un jugement de valeur ni de tirer des conclusions définitives, mais de constater que cette incompréhension entre deux sphères normatives peut contribuer à expliquer l’acharnement procédural observé.

Dans un contexte de faiblesse ou d’inexistence de l’État de droit, le citoyen russe doit, par ailleurs, obtenir une protection dès lors que lui-même ou son activité sortent du registre ordinaire. Cette protection appelée “krysha” est un paramètre incontournable.

II.3. Logique de “krysha” et effondrement du système de protection

Le comportement de Vladimir Martus peut également s’expliquer par l’origine de sa culture politique. Dans cet environnement, les recours et procédures sont fréquemment utilisés comme instruments de pression ou de négociation, plutôt que comme moyens impartiaux de faire valoir ses droits.

En Russie, le système politico-administratif fonctionne souvent selon la logique de la krysha* plutôt que sur le respect strict de la loi. 
* Krysha (russe “toit”) : système de protection informelle fondé sur des réseaux d’influence, visant à contourner ou à instrumentaliser le droit.

La krysha n’est pas une dérive. Elle découle de l’absence d’État de droit en Russie, et est un réflexe pour ceux qui n’ont jamais appris à se soumettre à une règle impersonnelle. Dans ce cadre, le comportement de Vladimir Martus — fait de contournements, de narratifs alternatifs, d’interpositions, de prête-nom et de recours à une structure écran — ne relève pas d’une simple stratégie individuelle. Il fait référence à un schéma culturel et politique bien documenté par la presse : celui de la substitution de la loi par la protection.

Cette approche, transposée dans un autre espace, illustre l’incompatibilité entre sa façon de raisonner et les principes du contentieux dans un État de droit.

Il faut néanmoins souligner que, à la différence des autres pays européens, cette méthode a produit des effets concrets en France pendant plus de deux ans. Le Shtandart a obtenu de nombreuses protections contre l’application du règlement UE de la part de plusieurs organismes, parmi lesquels :

  • la direction générale des Affaires maritimes de la pêche et de l’aquaculture (DGAMPA), 
  • la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), 
  • le secrétariat général de la mer (SGMer), 
  • la direction du port de plaisance de La Rochelle, 
  • la préfecture de Charente-Maritime…

À ce sujet, on peut lire, dans Le Parisien du 30 novembre 2025, une affirmation en contradiction avec l’état réel du droit applicable : “Me Thierry Clerc précise que des recours sont en cours et que le bateau est toujours le bienvenu au port de La Rochelle

Les sources primaires relatives à la “krysha” de Vladimir Martus en France sont disponibles dans une publication du collectif : 
-> No Shtandart in Europe“Les autorités françaises et les passe-droits du navire russe Shtandart ”, 15 mai 2025.

Ces traitements hors normes, répétés et accompagnés d’une communication juridiquement infondée des mesures restrictives émanant du pouvoir exécutif ont été signalés à la Commission. Les 27 États membres du Conseil européen ont rappelé à l’ordre la France via la décision PESC nº 2024/1744 du 24 juin 2024. Celle-ci a fait l’objet de la première saisine infructueuse de la CJUE par le Shtandart comme présenté ci-dessus. 

L’effondrement de sa “krysha” française depuis cette décision constitue probablement une source de frustration pour Vladimir Martus et pourrait le pousser à uneradicalisation conflictuelle. C’est la même réaction qu’il avait eu, en 2007/2009, lors de son litige sur la sécurité avec l’inspecteur Dmitry Atlashkin.

Ainsi que nous l’avons vu, il est éventuellement possible d’expliquer partiellement le déclenchement des recours par la personnalité, l’historique et le référentiel sociétal de Vladimir Martus ainsi que par l’intérêt de ses conseils. On ne peut néanmoins envisager cette affaire en s’affranchissant du contexte géopolitique actuel et des tensions entre la Fédération de Russie et les pays occidentaux. 

Il convient de s’y intéresser compte-tenu des liens du navire avec le régime de son pays d’origine. Cette approche nous conduit à émettre des hypothèses additionnelles.

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PARTIE III
Hypothèses géopolitiques et informationnelles

III.1. Instrumentalisation médiatique et narrative

Le cas du Shtandart s’inscrit dans une dimension plus large que celle d’un contentieux administratif.

À partir du 14 juillet 2024, le collectif et son porte-parole ont été publiquement désignés par RIA Novosti, agence d’information russe, dans un registre narratif hostile aux sanctions européennes.  
-> RIA Novosti, “Фрегат « Штандарт » стал мишенью проукраинских активистов в ЕС”, (La frégate « Shtandart » prise pour cible par des militants pro-ukrainiens dans l’UE), 14 juillet 2024. 

Depuis lors, plusieurs organes de presse russes relaient une lecture convergente de l’affaire. Pour eux, Vladimir Martus est mis en scène comme symbole de résistance aux sanctions. Une telle présentation renforce son engagement. Parallèlement, elle sert la propagande du régime. Elle lui donne légitimité et visibilité tout en alimentant la perception d’une opposition européenne faible, voire inefficace, face aux manœuvres russes.
-> Komsomolskaïa Pravda, “Le voilier russe Shtandart va tenter pour la troisième fois de violer les sanctions européennes (Ru)”, 6 août 2024. 

Cette convergence entre :

  • des procédures judiciaires européennes vouées à l’échec,
  • leur relais par des médias russes, 
  • et un discours de victimisation récurrent

soulève l’hypothèse d’une instrumentalisation informationnelle, sans qu’il soit possible, à ce stade, d’inférer une intention ou un commandement.

Voir aussi les centaines d’articles russes sur l’affaire du Shtandart depuis juillet 2024 :
-> Dossier No Shtandart in Europe, “Le Shtandart, les organes de propagande et les médias russes”, 2024/2025.

Il est important de souligner qu’il n’est pas question d’une “récupération” de Vladimir Martus, contre son gré, par la propagande du régime. Il s’agit bien d’un choix délibéré de ce dernier comme le montre ses vidéos d’ “interviews” adressées aux agences d’information russe.

Il apparaît ainsi que le Shtandart sort des considérations habituelles comme nous l’avons exposé de façon détaillée : 
-> Diploweb“Russie. Du soft power à la guerre hybride. Etude de cas d’une influence russe en Europe : le Shtandart, 25 novembre 2025 

III.2. La France comme terrain privilégié

Un élément mérite d’être souligné : la France est le seul pays à faire l’objet d’actions contentieuses de Vladimir Martus, alors même qu’elle a été et est encore l’État le plus accommodant à l’égard du Shtandart.

Pour la seule année 2025, dans ce contexte de bannissement général, la frégate russe a accosté en Vendée et dans le Morbihan. Elle a également séjourné longuement et fréquemment à La Rochelle (Charente-Maritime).

À ce titre, dans la “Kaliningrad atlantique”, la préfecture a clairement indiqué qu’elle n’entendait pas se conformer à l’ordonnance émise le 22 août 2025 par la CJUE. Pour justifier sa position, elle oppose le règlement européen au droit maritime de manière artificielle. Elle omet de considérer que la convention SOLAS (Safety of Life at Sea) est prise en compte dans le paragraphe 4 des sanctions s’appliquant au Shtandart.

Sud-Ouest, 17 septembre 2025 : « Au-dessus du droit européen, s’applique le droit international de la mer. Ce dernier indique qu’en cas de besoin technique ou de météo défavorable, les bateaux doivent pouvoir faire escale dans les ports à proximité. N’importe quel port est ainsi dans l’obligation d’accueillir le ‘‘Shtandart’’ en cas de besoin », relate le directeur de cabinet. Source 

La Rochelle constitue un cas spécifique en Europe. Il justifierait un intérêt particulier des services compétents de l’État. Les détails en ont été rendus publics : 
-> Desk-Russie, “Quand le navire russe Shtandart et La Rochelle défient les sanctions européennes”, 28 septembre 2025.

Récemment, le collectif a, une nouvelle fois, signalé à la Commission, les contournements répétés du règlement européen qui ont lieu dans la cité maritime :
-> No Shtandart in Europe, “Demande d’intervention de la Commission européenne concernant un manquement à l’exécution des sanctions portuaires en France (Morbihan et Charente-Maritime)”, 17 décembre 2025.

Le navire est interdit dans tous les ports européens, qu’ils soient ou non dans l’Union. L’échec de la tournée estivale en 2025 a montré l’application stricte des mesures restrictives. Les accostages planifiés en Irlande, au Royaume-Uni, en Norvège, au Danemark, en Belgique, en Espagne et au Portugal ont dû être annulés. Pour ces deux derniers pays, le Shtandart est, en plus, banni de leurs eaux territoriales. Cinq équipiers ou clients du Shtandart ont, d’ailleurs, été interpellés par les forces de l’ordre portugaises en septembre 2025. En revanche, aucune procédure judiciaire n’a été engagée contre aucun de ces États.

Cette asymétrie suggère une sélection stratégique de la France comme terrain d’affrontement, pour plusieurs raisons :

  • Le fait que les autorités françaises aient longtemps cherché des accommodements, voire toléré des pratiques de contournement, laissant un espace exploitable juridiquement. 
  • Les passe-droits confidentiels précédemment octroyés au Shtandart ont été partagés par Vladimir Martus et Thierry Clerc à des fins de pression sur les autorités françaises, qui se retrouvent placées en situation de fragilité contentieuse.
  • Le système judiciaire français, permet probablement plus facilement la multiplication de recours, même non suspensifs
  • Les autres pays ont agi rapidement et clairement, laissant peu d’espace à la contestation.

En France, l’affaire du Shtandart dure depuis plus de trois ans et demi. Dans les autres États, elle a été réglée en moins de quinze jours, dès lors que leurs autorités avaient été alertées par le collectif.

Au vu de ce qui précède, il ne serait pas infondé de considérer que l’affaire du Shtandart n’existe en France que parce qu’elle a été construite au cœur de son appareil d’État. Sans même parler d’éventuels relais d’influence qui s’y trouveraient, celui-ci porterait une responsabilité bien plus importante que les juristes du Shtandart ou son capitaine. Ce dernier n’aurait finalement agi qu’en exploitant l’opportunité qui lui était offerte. 

Dans ce contexte, la France peut être perçue comme un « maillon faible », que certains acteurs cherchent à instrumentaliser. 

Cette situation renforce l’hypothèse que le Shtandart pourrait notamment contribuer à créer des controverses internes et à y fragiliser la confiance dans les institutions nationales ou européennes. Comme le rappelait le chef d’état-major des armées (CEMA), la France est un des objectifs prioritaires  de la stratégie d’ingérence russe.
-> LCI, Général Thierry Burcard (CEMA), “Le grand dossier, la France cible numéro un de Poutine. L’alerte”, 11 juillet 2025 

III.3. Stratégie du chaos et déstabilisation

Sans préjuger de son niveau de conscience ou d’intention, les actions répétées de Vladimir Martus peuvent également s’inscrire dans une dynamique de déstabilisation plus globale. Ces recours, le harcèlement judiciaire et la médiatisation associée peuvent viser notamment à  :

  • Créer des fractures dans la société civile et dans la relation entre citoyens et autorités.
  • Alimenter la contestation contre les institutions nationales et européennes.
  • Éroder la confiance dans le droit et dans l’effectivité des sanctions, en donnant l’impression qu’elles peuvent être contournées.

Une approche de ce type rejoint des éléments déjà bien identifiés par un hebdomadaire national :
-> Challenges, “Ingérences russes : la stratégie du chaos comme arme de déstabilisation massive”, 5 août 2025 

Une journaliste française, spécialiste du cas du Shtandart, s’est prononcée à ce sujet dans le principal quotidien régional :
-> Ouest-France : “ Enquête. Le navire russe « Shtandart » mène la guerre de Poutine jusque dans le golfe du Morbihan “, 23 mai 2025 

III.4. Question du financement

Si le Shtandart joue un rôle, intentionnel ou non, dans une stratégie de déstabilisation européenne, son apparente situation financière difficile pourrait ne pas être déterminante.

L’attention porterait alors moins sur les appels aux dons que sur les objectifs poursuivis et les circuits de paiement des contentieux et des conseils juridiques.

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PARTIE IV
Pistes ouvertes et clôture analytique

Sans prétendre à l’exhaustivité, il peut être utile d’explorer d’autres angles. Des éléments plus indirects pourraient éclairer la persistance de ces recours, sans qu’aucun ne soit établi de façon certaine. 

Les procédures engagées pourraient avoir pour fonction de documenter une résistance symbolique, indépendamment des chances de succès juridique. 

Elles peuvent aussi maintenir une ambiguïté sur les conséquences pratiques, même si le droit reste inchangé. 

La multiplication des recours peut également servir à évaluer la tolérance institutionnelle, à observer les réactions administratives et juridictionnelles, ou à détecter d’éventuelles failles procédurales.

Chaque revers pourrait mobiliser les soutiens, perçu comme une hostilité, un acharnement ou un refus de clore le conflit. La poursuite du litige apparaîtrait alors préférable à l’acceptation d’une défaite définitive. 

Ces pistes d’analyse, complémentaires, restent hypothétiques et visent à mieux comprendre un comportement procédural. Il demeure difficile à interpréter selon les standards habituels de la rationalité juridique. 

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CONCLUSION

Les recours au tribunal administratif (TA) de Rennes et à la CJUE révèlent une stratégie complexe. Le collectif se limite à la présentation de faits vérifiables, constate les incohérences et propose des hypothèses ouvertes, sans formuler d’accusations ni de certitudes.

Dans les deux instances, le Shtandart présente une faiblesse juridique manifeste :

  • au TA de Rennes, le mémoire en réplique est dépourvu de fondement ; 
  • à la CJUE, le recours sur l’interprétation du règlement est peu susceptible de succès.

Les recours sont sans effet suspensif et juridiquement inefficaces. Ils persistent malgré des décisions claires et concordantes, justifiant une analyse dépassant le strict cadre juridique. Ces démarches peuvent être interprétées comme un harcèlement dilatoire, avec une possible instrumentalisation de la France comme terrain d’action stratégique.

Dans cette situation atypique, le collectif estime que formuler des questions relève d’une démarche analytique et non accusatoire, contribuant à la compréhension d’un phénomène dépassant le simple cas du Shtandart

Les lecteurs sont invités à partager leurs hypothèses en commentaires, de manière nominative ou anonyme. Leurs contributions seront incluses dans les mises à jour de cet article.

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Publié par Bernard Grua

Graduated from Paris "Institut d'Etudes Politiques", financial auditor, photographer, founder and spokesperson of the worldwide movement which opposed to the delivery of Mistral invasion vessels to Putin's Russia, contributor to French and foreign media for culture, heritage and geopolitics.

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