La présence, sans conditions, d’Emmanuel Macron au match de demi-finale de la coupe du Monde fut-elle seulement une erreur diplomatique?
A la différence du contrat relatif aux navires Mistral dont plus de 60% des Français approuvaient la livraison, la majorité du pays a aujourd’hui une position défavorable à l’égard du Kremlin en ce qui concerne les prisonniers politiques ukrainiens détenus par la Russie. Tous les jours paraissent, en France, des articles s’émouvant de leur sort et, particulièrement, de celui d’Oleg Sentsov.
Benjamin Griveaux, porte parole du gouvernement français, a rappelé la position de la France comme le rapporte Ouest France, le 10 juillet 2018: « Emprisonnement d’Oleg Sentsov en Russie: « Les droits élémentaires n’ont pas été respectés » ». L’objectif n’était probablement pas d’influer sur le sort de Sentsov. Il s’agissait plutôt de montrer que les interventions de l’Elysée, souhaitées par l’opinion française, avaient déjà eu lieu. Elles n’étaient plus pertinentes. La finalité était bien la justification d’une inaction lors de la venue du Président Macron à Saint Petersbourg, ce même jour, alors qu’il venait assister à la demi finale de la coupe du monde de football. Pour ceux qui continueraient à se méprendre sur son propos, Benjamin Griveaux se fait encore plus explicite « peu de choses émeuvent », Vladimir Poutine. La communication du porte-parole du gouvernement a été, « en même temps », l’aveu d’une faiblesse à l’égard du Kremlin et une opération de diversion à l’égard d’une population sensible au respect des droits de l’homme.
Le Kremlin a fort bien compris le message puisque, toujours ce 10 juillet 2018, il produisit une provocation destinée à humilier son « partenaire » selon une pratique, issue de la pègre du goulag. Ce mode opératoire et sa récurrence ont été décrits, en détail, par Françoise Thom (historienne et soviétologue française) dans son ouvrage « Comprendre le Poutinisme ». A 15:30, RT, instrument de la politique d’influence du pouvoir russe, publiait: «On risque l’insurrection» : des soutiens d’Emmanuel Macron alertent sur les inégalités ». La veille, une vidéo, de ce même RT, montrait le peu d’égards, que le gouvernement russe avait pour son hôte: « Réception au château ». Cela n’a pas empêché l’avion présidentiel de s’envoler vers la ville fondée par Pierre le Grand.

Finalement, ainsi que le souhaitait Vladimir Poutine, le Président Macron est venu honorer son événement mondial. Poutine n’a rien dû concéder en ce qui concerne les otages ukrainiens et a pu se permettre, en toute impunité, une méprisante provocation, dont il est coutumier ainsi que friand à l’égard des chefs d’Etat. Il est le vrai vainqueur de cette demi-finale France-Belgique. Certes, le pays d’Hergé a été éliminé mais celui de Goscinny n’y a rien gagné en terme de dignité ni sur le plan international, ni sur le plan moral. Plus gravement, il y a perdu du respect et de la crédibilité.
Puisque la parole est vaine et révélation d’impuissance, il serait bon de passer à un acte fort du type de celui préconisé par Michel Eltchaninoff (spécialiste de philosophie russe, auteur de «Dans la tête de Vladimir Poutine»). Dans le journal Le Monde il suggérait d’assujettir la présence d’Emmanuel Macron, en Russie, à la libération d’Oleg Sentsov. Il reste une deuxième chance, la finale du dimanche 15 juillet 2018. On est en droit de douter du fait que cette opportunité sera saisie.
La victoire dans une coupe du monde, confortant systématiquement les pouvoirs en place, entre dix et quinze points de popularité supplémentaire, est très tentante. Dès lors encourager l’équipe nationale est probablement un investissement plus intéressant, pour Emmanuel Macron, que le sort des prisonniers politiques détenus à la Loubianka, dans les camps sibériens ou dans les geôles de Crimée. Pour cela, on est prêt à recevoir un trophée des mains d’un homme qui se rêve en super-puissant, même si sa seule force est son in-surpassée capacité de nuisance. Comme l’a si bien résumé le jeune artiste ukrainien Andriy Yermolenko : « Monsieur Macron n’oubliez pas de vous laver les mains ».
Bernard Grua, Nantes, 11/07/2018
Note: Cet article a été aussi publié, le 13 juillet 2018, sur le site d’Ukrinform, agence de presse nationale ukrainienne. Merci à eux.
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