
Un spectacle magnifique; un cadre historique et emblématique
Nantes, le 14 juillet 2017, à la tombée de la nuit, sous un ciel superbe, dans un cadre majeur, historique et emblématique de la Bretagne, le spectacle fut magnifique. Voilà qui changeait du lieu habituel face aux éléphantesques hangars, abris de coûteuses et éphémères machines. Selon la majorité des spectateurs, ce fut le plus beau feu d’artifice jamais vu à Nantes. Les motifs de sécurité, imposant cette re-localisation, ont conduit à un heureux choix. Mais est-ce tout? Au delà de sa dimension esthétique, cette fête ne pouvait pas laisser indifférent et ne pas conduire à d’autres visions, enracinées dans la substance même d’un pays qui, aujourd’hui, est amputé et orphelin de son propre Etat.
La Fête Nationale française ne célèbre pas les mêmes événements que ceux généralement honorés dans de nombreux pays. Chez nous, il n’est pas question de paix retrouvée, de ré-unification, d’indépendance, de libération. Surtout pas! Initialement il s’agissait de la fête de la Fédération tenue sur le Champs de Mars, en 1790. Les Anglo-saxons, pragmatiques, l’appellent « Bastille day ». A vrai dire, nous ne savons pas réellement quoi y mettre.
Une fête de la Révolution?
Au choix, on célèbre les Droits de l’Homme, les « valeurs de la République » : « liberté, égalité, fraternité » et, pourquoi pas, la Révolution commencée avant même que Louis XVI ne perde la tête. Cette Révolution, dont la Bretagne fut à l’avant-garde, a été redessinée comme une gravure d’Epinal, un trop peu colorée. Elle fut rapidement dévoyée. Toutes les clauses de l’édit du Plessis Massé, signé le 21 septembre 1532, actant du l’union de la Bretagne à la France, ont été violées par la nuit du 4 août 1789.
Par la suite des milliers d’hommes, de femmes, de prêtres et d’enfants noyés dans la Loire, quasiment au centre de la ville, portent à 20 000 le nombre de victimes de la Terreur à Nantes. Elles n’ont pas de monument, juste un petit écriteau bricolé. Jusqu’à l’an passé, le feu d’artifice du 14 juillet était tiré sur le lieu même de ces noyades, véritable crime de masse. « Fête Nationale » dites vous? « Baignoire Nationale » disait, de la Loire, l’infâme Carrier, « représentant en mission » de la Convention.
Un fête nationale?
La suite de l’histoire ne prête pas à plus de réjouissances. L’armée bretonne levée pour secourir Paris pendant la guerre de 1870 a été abandonnée, désarmée dans le camp de Conlie, et livrée volontairement par Gambetta à la maladie, la vermine et la mitraille prussienne. Cette armée n’a pas de place dans le récit national. On lui préfère l’image de Gambetta quittant Paris en ballon.
Le 5 juillet 1940, passant en revue les Forces Françaises Libres (FFL) réunies à Londres, le général de Gaule aurait dit : « Mais l’île de Sein, c’est donc le quart de France ! » En Bretagne, on a résisté dès la première heure. Pendant ce temps, à Paris, rompu à s’accommoder avec tous les pouvoirs, on collabore, quitte à se délocaliser dans une ville d’eau, dont le parc hôtelier de luxe procure un exil doré. Pour faire bonne mesure, un décret de Vichy, conçu sur le plan des Kommandanturs allemandes, détache le département nantais de la Bretagne, amputant le pays de 40% de son PIB et d’une grande partie de sa population.
Après la guerre, en guise de remerciement pour une Bretagne combattante, les barons du Gaullisme, Marcellin et Guichard, se taillent leurs fiefs en se gardant bien de remettre en cause le démembrement, par Pétain, du seul pays d’Europe dont les frontières ont été stables pendant plus d’un millénaire. La dé-bretonnisation systématique de la péninsule armoricaine trouve son point d’orgue dans la création d’une région artificielle, les «Pays de la Loire », qui s’inventent une histoire et une culture factice faite de buzz médiatique. Jean Blaise qui tient en main la culture nantaise n’a pas hésité à proclamer, au cours de ce mois de juillet 2017: « Nantes a de la culture (celle de Jean Blaise Nda) mais n’a pas de patrimoine ».
On aurait pu croire qu’une telle injustice pouvait être rachetée par la réforme des régions voulue par François Hollande. Elle restera une des seules actions d’importance de son quinquennat. Avant d’être un échec spectaculaire, elle fut l’espoir des dizaines de milliers de Bretons, foules les plus importantes à s’être mobilisées dans le cadre de cette grande partie de Monopoly hexagonal. A leurs manifestations ont répondu l’indifférence ou le mépris. Les grandes régions, qui constituent le cœur de la réforme Hollande, ont été créées dans une improvisation de potache. Comme l’écrit, dans l’Express, Jacques Lescoat, administrateur territorial et docteur en géographie, on peut y voir: « Précipitation », « ignorance coupable », « négation de la géographie française ».
Tout simplement une belle soirée d’été
Ainsi, lors du 14 juillet, la Révolution n’est pas ce qui emplit de joie les Bretons en cette journée de réjouissances formelles. Même le caractère « national » de cette fête de la République, laisse un goût amer. Alors pourquoi aime-ton le 14 juillet? Ici, on l’aime parce qu’il signifie généralement une douce et longue soirée familiale de beau temps. C’est un jour férié pour ceux qui ne sont pas encore en vacances. On y observe de belles pyrotechnies et, parfois, de beaux défilés. Certains profitent de réjouissances gratuites telles que concerts, pièces de théâtre, bal populaire municipal, bal des pompiers…
Mais surtout, un hommage aux derniers souverains de la Bretagne libre et unie
Henri IV, devant le château de Nantes se serait exclamé: « Ventre Saint-Gris, ce n’étaient pas de petits compagnons, ces Ducs de Bretagne ». Cet été, la Fête Nationale jacobine s’est inclinée, sans bien le mesurer, devant une des forteresses de la dernière souveraine de la Bretagne indépendante. Quelle ironie mais aussi quelle splendeur que cette sublime mise en valeur! Quelle évocation d’Anne de Bretagne (1), et de son père François II (2)! Quelle puissante image encore aujourd’hui! Le 14 juillet 2017, nous étions fiers d’être nantais et bretons. Nous étions dans notre mémoire. La vraie, la nôtre, pas celle d’une mise en scène de commande au discours fabriqué.
Naoned e Breizh!
Bernard Grua, Nantes, 19/07/2017
Photos de Bernard Grua, DR
Lien vers l’album photo complet
(1) Anne de Bretagne fut la dernière souveraine d’une Bretagne indépendante, qui rivalisait avec les Pays-Bas Hollandais dans les échanges internationaux du début de la Renaissance. Le pays qui l’a colonisé, en le fermant au monde, en a fait un ensemble géographique de ploucs, d’attardés, de Bécassine et, plus récemment, de caricatures de Bigoudènes.
(2) C’est au Duc François II que l’on doit la majeure partie de l’actuel château de Nantes. L’étiquette pratiquée à sa cour prestigieuse a largement été copiée par la cour des rois de France. Aujourd’hui il n’est pas possible d’entrer dans le château d’Anne et de François II avec un drapeau breton. C’est un « geste politique » interdit.