Les Dirigeants occidentaux subordonnent, à ce jour, la levée des sanctions contre la Russie à l’application intégrale des accords de Minsk. Néanmoins, une vaste majorité des Ukrainiens considère, que ces accords ne sont pas applicables: cessez-le feu non respecté, armes lourdes dans les zones d’exclusion, approvisionnement des « séparatistes » en argent et en munitions par Moscou, présence de militaires du rang et d’officiers généraux russes dans le Donbass, « ministères » du Donbass à Moscou etc. On peut ajouter que, dans ce climat loin d’être apaisé, la fédéralisation, de facto l’éclatement du pays, réclamée par ces mêmes accords, doit être ratifiée par un changement de constitution auquel les députés ukrainiens ne souscriront pas, par conviction ou par crainte d’un enflammement de la part de la société civile. Cette dernière a déjà consentit d’énormes sacrifices, tant en terme de vies humaines, qu’en terme de destruction de l’outil industriel de l’Est, qu’en terme de paupérisation de l’ensemble de la population et plus particulièrement des millions de civils déplacés ou précarisés. Elle ne cédera pas.
Concernant la fédéralisation ukrainienne, on mesure bien l’étrangeté de la position française. Il est difficilement envisageable d’imaginer François Hollande proposant une telle solution dans notre pays, où règne un jacobinisme qui n’a son équivalent que dans la « Fédération » de Russie. Notre gouvernement en a donné un exemple récent en se livrant à un re-découpage régional ignorant l’histoire, la culture, la langue et les situations géographiques des différentes nations qui ont constitué la France hexagonale d’aujourd’hui, en dépit de fortes mobilisations locales.
Les accords de Minsk paraissent donc être, de plus en plus, ce qu’ils ont probablement été dès l’origine: une validation d’un conflit gelé par la France et l’Allemagne, avant de pouvoir passer à autre chose, une garantie à l’égard de Vladimir Poutine que ses « conquêtes » ne seront pas remises en cause, tentant de le dissuader de poursuivre plus loin son aventure mortifère. On en a vu le « succès » immédiat avec le bain de sang deDebaltseve, où Poutine a directement impliqué son Etat-major, ses forces spéciales et ses tanks.
Il en résulte que l’on pourrait, à première vue, souscrire à l’article: The Best Ways to Help Ukraine: « Scrap the Minsk agreement, hold the line on sanctions on Russia, and keep pressuring Ukraine’s leaders to clean up corruption. » Et pourtant à sa lecture, on éprouve un certain malaise.
Que dirait le peuple américain si on lui imposait des sanctions à l’égard d’un de ses deux principaux partenaires commerciaux à savoir le Mexique, arguant notamment du fait que les droits de l’homme sont bafoués dans ce pays, largement tenu par une mafia de narcotrafiquants? En ce qui concerne la Russie, c’est une autre affaire. Le niveau des échanges entre les USA et la Russie est une très faible proportion de celui des échanges UE-Russie (103 milliards d’Euros en 2014). De plus, depuis la « crise » en Ukraine, ces échanges USA-Russie ont augmenté et non pas diminué, comme le rappelait le« Spiegel ». Une poursuite voire une aggravation des sanctions à l’égard de la Russie n’aurait que peu d’impact pour les USA. « Les conseilleurs ne sont pas les payeurs ». Ceci explique la grande liberté de parole de David J. Kramer, l’auteur, et le caractère quelque peu léger de son propos. Nous devons donc faire une lecture « européenne » de son document.
Minsk2 est un accord congénitalement entaché de très nombreuses faiblesses comme le souligne l’auteur. Il n’est pas le seul à le penser. En revanche, l’auteur ne mesure pas le caractère très fragile du consensus qu’il y a en Europe à l’égard des sanctions, notamment en raison du contre-embargo russe. La Russie était, en 2014, le troisième partenaire commercial de l’UE. L’embargo russe sur les produits alimentaire a été relativement bien supporté par l’UE d’un point de vue macro-économique. En revanche, il a été plus durement ressenti par certains pays et certaines catégories professionnelles, les acculant parfois à des situations désespérées. Ces catégories professionnelles ont une forte capacité de mobilisation. Elles sont à même de peser sur le personnel politique, habilement manœuvré par Thierry Mariani, porte-parole de Vladimir Poutine au sein du parlement français. Il nous l’a montré à l’Assemblée Nationale lors du vote, le 28/04/2016, de la résolution en faveur de la levée des sanctions. On se souvient de Marion Maréchal Le Pen invoquant, à la tribune, le sort des producteurs de pomme du Vaucluse. La détresse de ces professionnels est exploitée par le Kremlin et par ses supplétifs français. Le blocage de la société russe, l’impact de l’embargo sanitaire russe sur le porc, préalable aux sanctions, les conséquences de l’effondrement du rouble ou de la chute des revenus du pétrole sur les importations russes sont passé sous silence. A coup de chiffres maquillés, on incrimine les sanctions jusqu’à créer le bruit de fond. On retrouve un mécanisme qui est rigoureusement similaire à celui qui a été appliqué lors de l’affaire Mistral. Une simple recherche google montrera que l’essentiel de la communication sur les sanctions provient des médias pro-Kremlin. De la même façon, les articles de la presse « mainstream » reprennent régulièrement des informations issues de ces médias pro-Poutine, sans même chercher à en vérifier la véracité. Parallèlement, Moscou active tout ses relais français, voire s’en crée de nouveaux, pour obtenir la levée des sanctions, comme l’a montré Cécile Vaissié: « Les réseaux du Kremlin en France« .
L’émotion qui a suivi la destruction du vol MH17 est retombée. La poursuite des sanctions est contestée dans l’UE. Minsk reste leur dernier rempart. Le discours des hommes politiques responsables est de dire qu’elles seront maintenues jusqu’à la mise en application complète des accords de Minsk. Si comme le recommande David J. Kramer nous abandonnons la référence aux accords de Minsk, alors nous ne pourrons plus justifier du maintien des sanctions russes en Europe. Nous perdrons le seul levier qui nous reste pour contenir la politique extérieure agressive de Vladimir Poutine. Cette approche n’est pas responsable.
A mon sens, et ceci est un point de vue purement français et personnel, la poursuite des sanctions passe par une plus grande transparence auprès la société civile européenne dont il faut impérativement gagner les opinions publiques eu égard au bien fondé du maintien des sanctions. Cette affaire ne peut plus seulement être débattue entre initiés. Il est temps de sortir des louvoiements tels que ceux présentés par l’humiliante rencontre Ayrault-Lavrov du 19 avril 2016. Nos Dirigeants se doivent d’informer leurs concitoyens de ce qu’ils savent de l’implication du Kremlin dans le Donbass et de la situation des droits de l’homme en Crimée. Ils doivent expliquer clairement en quoi consistent les sanctions européennes et les contre-sanctions russes. Aux chiffres falsifiés des pro-Kremlin, ils doivent répondre par des données honnêtes, vérifiables et à jour. Une étude fine des conséquences de cette guerre commerciale doit être mise en oeuvre. Les catégories sociaux-professionnelles lésées, voire acculées, par ce contexte doivent être identifiées. Un effort de solidarité nationale doit être mis en oeuvre à leur égard. C’est grâce au consensus national, et en gardant la référence aux accords de Minsk, que l’on maintiendra les sanctions et que l’on contiendra le bellicisme du Kremlin.