Analyse critique du compte rendu de Kombat-Tour à bord de la frégate « Shtandart », 2018

Frégate « Shtandart » et Kombat-Tour : le « Ruski Extrem » d’une croisière pour riches
L’agence russe Kombat-Tour a publié un long compte rendu de son séjour, de 2018, à bord du Shtandart, la réplique de la frégate de Pierre le Grand dirigée par Vladimir Martus. Présenté comme une « expédition philosophique », le texte se révèle être une fresque d’auto-célébration nationaliste où se mêlent chamanisme de pacotille, culte du chef, nostalgie impériale et mépris latent de l’Occident. Derrière l’imagerie d’une Russie “spirituelle” et “forte”, ce récit expose les ressorts culturels et psychologiques d’un chauvinisme qui isole le pays du monde civilisé — et dont l’idéologie sous-jacente conduit tout droit à la guerre d’agression contre l’Ukraine.

➡️ Kombat-Tour sur la frégate « Shtandart », 2018

Комбат-тур на фрегате Штандарт 6-13 октября 2018
Камбузная вахта в г. Конкарно и Комбат-туры на фрегате « Штандарт » ч.2


  1. Une emphase grotesque et narcissique
  2. Le chamanisme de pacotille de Stas Vorobyov
  3. La dévotion au “capitaine Martus”
  4. Une clientèle fortunée en quête d’exotisme russe
  5. Mépris latent pour la France et les Français
  6. Chauvinisme, culte de la force et mépris de la faiblesse
  7. Une “culture alternative” tournée contre le monde civilisé
  8. Conclusion : le Shtandart, vitrine d’une mythologie toxique

1. Une emphase grotesque et narcissique

Dès la première phrase — « au-delà des limites de la terre et à la limite de la vie moderne » — le ton est donné. Le récit confond tourisme nautique et épopée mystique. Tout est superlatif : « miracle », « défi », « véritable aventure », « succès fou ».
L’enflure verbale masque le vide de sens et traduit un besoin de grandeur compensatoire.

Le Shtandart devient une sorte de portail sacré, « imprégné de l’énergie des vagues de l’Atlantique et des gens qui ont créé ce miracle ». Ce lexique de l’énergie et de la “transformation” évoque davantage un stage new age qu’une navigation maritime.
Cette emphase n’est pas innocente : elle flatte la vanité du client fortuné en quête d’“initiation”, tout en glorifiant la Russie éternelle face à un monde moderne perçu comme déchu.

La frégate « Shtandart » et Kombat-Tour :   la Russie éternelle face à un monde moderne perçu comme déchu.

2. Le chamanisme de pacotille de Stas Vorobyov

Stas Vorobyov, promoteur de Kombat-Tour, incarne le gourou entrepreneurial russe : mélange de coach de vie, d’ésotériste et de vendeur de rêves.

La frégate « Shtandart » et Kombat-Tour : Stas Vorobyov, le chaman en carton
Stas Vorobyov : le chaman en carton

« Lorsque nous passons plusieurs jours dans la nature, nous nous structurons et nous nous régénérons. (…) Nous sommes actuellement dans les quatre éléments. »

Ce verbiage pseudo-spirituel recycle le vocabulaire du yoga, du développement personnel et de la mystique païenne, sans aucune cohérence intellectuelle.
Il prône le “retour à la nature”, la “respiration du vent salé”, la “connexion aux quatre éléments” — autant de clichés d’un chamanisme d’aéroport destiné à une clientèle citadine en mal d’identité.

Vorobyov incarne le charlatanisme post-soviétique, cette soif de foi de substitution qui mêle business, ésotérisme et nostalgie impériale. Ce syncrétisme grotesque, typiquement russe, prétend offrir une “renaissance intérieure”, mais ne produit qu’un folklore psychologique à la gloire de soi-même.

3. La dévotion au “capitaine Martus”

Le texte se transforme vite en hymne à la gloire de Vladimir Martus.

« Nous sommes tombés sous l’autorité du capitaine Vladimir Martus. »
« En 1992, il a reçu les plans de la frégate de Pierre le Grand et s’en est servi pour créer une réplique fidèle. »

La frégate « Shtandart » et Kombat-Tour : Vladimir Martus, un boniteur et un escroc
« Nous nous sommes retrouvés sous l’autorité du capitaine Martus. »

Martus est décrit non comme un simple marin, mais comme l’héritier direct de Pierre Ier, figure quasi mythique. Il n’est plus un homme, mais un prophète d’une Russie rêvée.
Le vocabulaire est religieux : “rêve”, “mission”, “vérité”, “autorité”. Les passagers deviennent les adeptes d’un culte du chef, et le Shtandart le temple flottant de la nostalgie tsariste.

Cette dévotion à Martus illustre un rapport hiérarchique typiquement russe : le chef est infaillible, le peuple doit croire. C’est le même schéma de soumission charismatique qui irrigue la politique russe contemporaine.

4. Une clientèle fortunée en quête d’exotisme russe

Sous ses allures d’expédition maritime, le Kombat-Tour est un produit de luxe.
Les détails sont révélateurs : arrivée en avion, “croissants frais”, “pique-nique aux huîtres et au vin local”, “dîners traditionnels”, “certificats et cadeaux d’entreprise”. Même Dodo Pizza, partenaire du voyage, incarne la nouvelle bourgeoisie russe qui s’achète du sens à coups de slogans spirituels.

La frégate « Shtandart » et Kombat-Tour : la bande de zombies moskals
« C’est la meilleure occasion de trouver votre précision, d’entendre votre voix intérieure. »

Le Shtandart devient le décor d’une croisière chic déguisée en épopée virile.
Sous couvert d’“authenticité”, tout est calibré pour flatter des clients qui veulent croire qu’ils rejouent les conquêtes impériales, sans renoncer au confort moderne. C’est le folklore d’une élite nostalgique, transformant le kitsch nationaliste en produit d’appel.

5. Mépris latent pour la France et les Français

Le passage sur Brest est révélateur d’une condescendance impériale :

« Brest, dont vous n’avez peut-être même jamais entendu parler. »
« Les Bretons tentent de libérer la Bretagne de l’influence française… depuis cinq siècles déjà, la Bretagne se soumet sans broncher à la domination française. »

La frégate « Shtandart » et Kombat-Tour : Brest
Brest
La frégate « Shtandart » et Kombat-Tour :  pizzas
Le “test gastronomique” des pizzas à 500 €

Cette caricature historique exprime un mépris implicite pour la France, perçue comme soumise et décadente.
Le “test gastronomique” des pizzas à 500 € ridiculise les Français et célèbre la “supériorité” russe. Même l’épisode du drone espion« un Russe pose son drone sur une base de l’OTAN » — est narré comme un exploit héroïque, une revanche symbolique sur l’Occident.

La frégate « Shtandart » et Kombat-Tour : Pasha, le droniste héroïque
Pasha, le droniste héroïque

Ce chauvinisme déguisé en humour traduit une profonde rancune : la Russie se rêve debout, forte et libre, face à une Europe “affaiblie”. C’est la matrice idéologique du ressentiment.

6. Chauvinisme, culte de la force et mépris de la faiblesse

Le texte culmine dans un véritable manifeste :

« Si une personne forte s’entoure de personnes faibles, elle devient leur serviteur. (…) Le Shtandart et Kombat-Tour ont réuni des personnes fortes. »

Tout le discours repose sur le culte de la force. La “faiblesse” est méprisée, l’obéissance glorifiée, la hiérarchie sacralisée.
Le nom même “Kombat-Tour” — contraction de “commandant de bataillon” — inscrit cette expérience dans un imaginaire militaire. Le groupe se rêve comme une confrérie d’élite au-dessus du commun.

Cette apologie de la virilité conquérante, de la pureté morale et du commandement vertical préfigure les dérives autoritaires d’un nationalisme en quête d’ennemis. Elle érige la brutalité en valeur, la soumission en vertu.

7. Une “culture alternative” tournée contre le monde civilisé

Derrière la façade culturelle, ce récit incarne la nostalgie réactionnaire d’une Russie mythifiée : pure, forte, spirituelle et “en guerre” contre la modernité.
Le “retour à la nature”, la mer, le bois, la fraternité virile, la foi dans le chef — tout concourt à une esthétique du repli.

Cette pseudo-culture, qui se veut alternative, rejette la raison, la démocratie, l’individualisme et le doute. Elle prône une “authenticité” fondée sur la force et la verticalité — le cœur même de l’idéologie impériale russe.

Ce romantisme martial, lorsqu’il quitte le théâtre du folklore pour gagner le champ politique, mène droit à la guerre : celle qu’on inflige à l’Ukraine, au nom du “retour du peuple fort”.

Conclusion : le Shtandart, vitrine d’une mythologie toxique

Sous les oripeaux d’une navigation historique, le Shtandart se présente comme la vitrine d’une mythologie toxique. On y célèbre un chef charismatique érigé en figure prophétique, un gourou mystico-commercial qui vend l’illusion de la transcendance, et une clientèle aisée en quête de rachat symbolique par le folklore national. Le discours, parsemé de condescendance envers la France et d’une exaltation viriliste de la force, traduit une obsession de la pureté et de l’obéissance.

La frégate « Shtandart » et Kombat-Tour : La Rochelle
La Rochelle

Cette construction idéologique ne se limite pas à un délire touristique : elle révèle les fondations mentales d’un chauvinisme qui érige la domination en idéal et la soumission en vertu. Le Shtandart n’est plus une simple réplique de navire historique, mais le miroir flottant d’une Russie fantasmée — spirituellement supérieure, isolée dans son orgueil, et désormais en rupture avec le monde civilisé.

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Publié par Bernard Grua

Graduated from Paris "Institut d'Etudes Politiques", financial auditor, photographer, founder and spokesperson of the worldwide movement which opposed to the delivery of Mitral invasion vessels to Putin's Russia, contributor to French and foreign media for culture, heritage and geopolitics.

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