M. le Préfet maritime de l’Atlantique, il devient urgent de mettre fin au comportement irresponsable de vos services concernant l’affaire du navire russe « Shtandart »

Préfet maritime de l'Atlantique, mettez fin au comportement irresponsable de vos services concernant le navire russe

À l’attention de :
Monsieur le Vice-amiral d’escadre Jean-François Quérat
Préfet maritime de l’Atlantique (Premar Atlantique) et Commandant en chef pour l’Atlantique (Ceclant)

Amiral,

Le règlement européen n°833/2014 dans son article 3 sexies bis interdit, depuis le 16 avril 2022, la présence de TOUT navire immatriculé sous pavillon russe dans les ports de l’Union. La préfecture maritime de l’Atlantique s’est récemment exprimée, dans le journal Ouest-France, sur le cas du navire russe « Shtandart » qui viole depuis deux ans ce 5e volet des sanctions pris à l’unanimité des pays de l’UE suite aux massacres russes de Boutcha. Les explications données par vos services et leurs tentatives de justification de cette fraude montrent une profonde méconnaissance du sujet, tant en ce qui concerne le cadre légal ou opérationnel qu’en ce qui concerne la véritable nature du navire russe. On y lit un préoccupant amateurisme auquel il convient de remédier au plus vite pour la dignité de notre pays et pour son intérêt national.  

« Généralement, le ministère des Affaires étrangères se prononce assez peu sur les affaires intérieures. C’est le service qui fait autorité, qui porte la voix. Pour la présence dans les ports, ce sont la préfecture et la préfecture maritime. »

Ouest-France, 29/03/2024 – Le navire russe Shtandart, autorisé à s’amarrer dans les ports de France, embarrasse ses protecteurs

S’agit-il vraiment d’une « affaire intérieure » ? L’État russe est impliqué, l’Ukraine aussi. Ouest-France a bien mis en évidence, par des sources irréfutables, les liens, y compris financiers, du capitaine-propriétaire, Vladimir Martus, et du « Shtandart » avec la Société russe de géographie (dirigée par Sergueï Choïgou et dont le Conseil d’administration est présidé par Vladimir Poutine) ainsi qu’avec l’Administration présidentielle russe. Nous aurions bien d’autres éléments à ajouter. Aujourd’hui, nous nous limiterons à dire qu’il était prévu une suite propagandiste à l’expédition de Tchesmé, dont parle Ouest-France, comme le montre l’accord signé entre la Société russe de géographie et la Fundación Traslatio de Vigo en septembre 2021. Cette mission se poursuit aujourd’hui très facilement en France, grâce à un prodigieux réseau de complicités, et plus péniblement en Espagne. En effet, le caractère international de l’affaire du « Shtandart » trouve, en ce moment, une autre illustration sur la côte orientale de la péninsule ibérique. Là, le « Shtandart », bien qu’inscrit, n’a pas pu participer à « Escala a Castelló » en application de l’interdiction résultant des sanctions. Sur ce sujet, on se rapportera utilement à l’article de Castellón información publié le 28 mars dernier, “Le Shtandart est un outil de propagande russe et est interdit d’entrée dans tous les ports européens” (Esp). On lira aussi l’article du Midi Libre du 3 avril, « Guerre en Ukraine : le Shtandart, la frégate russe accueillie pendant Escale à Sète, interdite de séjour en Espagne ».

Si le sujet n’était pas aussi grave, on pourrait trouver piquant d’entendre qu’une « affaire intérieure » peut évoluer en fonction du « contexte géopolitique », c’est-à-dire extérieur. On y reviendra. Dans l’immédiat, il est intéressant d’observer, concernant l’exécution des sanctions portuaires, que les services de la préfecture maritime Atlantique revendiquent indûment un rôle que, par ailleurs, ils n’exercent pas. Pourtant, le document de la Commission européenne, qui organise les sanctions, en attribue clairement l’application, dans les ports, aux seuls préfets de département et aux directeurs des grands ports maritimes : National competent authorities for the implementation of EU restrictive measures (sanctions). Il n’est aucunement question des préfets maritimes. Mais il est encore plus intéressant de remarquer que la « Coordination générale des sanctions » est confiée au Quai d’Orsay. Le même Quai d’Orsay qui, selon la préfecture maritime Atlantique, n’a pas voix au chapitre.

Les seules trois premières lignes que nous venons de commenter révèlent déjà un inquiétant mélange de confusion et d’irresponsabilité. On a bien, là, un terrain de jeu idéal pour les réseaux russes ou pro-russes, qui, eux, avancent de façon déterminée vers leurs objectifs. L’argument d’autorité, qui sera utilisé plus loin, n’ apparaîtra que plus désespéré.

La Préfecture maritime de l’Atlantique concède toutefois que sa décision pour les fêtes maritimes de Brest « pourrait évoluer en fonction du contexte géopolitique, des risques de troubles à l’ordre public ou des deux à la fois ».

Ouest-France, 29/03/2024 – Le navire russe Shtandart, autorisé à s’amarrer dans les ports de France, embarrasse ses protecteurs

« pourrait évoluer en fonction du contexte géopolitique »

Que veut dire « géopolitique »? Ce terme exotique, utilisé jusque-là marginalement par des spécialistes, a été popularisé intensivement depuis 2014 par les services de propagande du Kremlin pour appuyer les « légitimes revendications » impérialistes de la Russie, un pays dont « les frontières ne s’arrêtent nulle part », aux dires de Vladimir Poutine. Depuis lors, la formule est reprise en boucle par les médias et les trolls de la fachosphère pro-Poutine, qui n’y comprennent rien. Mais ce discours « géopolitique » n’était, pour Moscou, qu’un prélude à la guerre, afin de « justifier », avec un certain succès, ce qui allait suivre. Car c’est de « guerre » et non pas de « contexte géopolitique », qu’un officier général d’active, fut-il dans la Marine nationale, doit parler, maintenant.

Shtandart, mésutilisation du terme géopolitique
Source : Geopolitics is a losers buzzword with a contagious idea  

La Fédération de Russie est reconnue, par l’UE, en tant qu’État soutenant le terrorisme. La guerre d’invasion russe en Ukraine est la plus meurtrière menée sur le continent européen depuis le deuxième conflit mondial. Elle est conduite par un dirigeant qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt international de la CPI pour crimes de guerre en Ukraine et pour la déportation d’enfants de zones occupées. Cette guerre s’exerce aussi contre la France de façon intensive par tout moyen autre que militaire. Nous en avons quotidiennement des preuves. De plus, la Russie soumet notre pays, au minimum une fois par semaine, à la menace d’une apocalypse nucléaire. Que faut-il de plus à Ceclant Premar Atlantique pour qu’il exige, enfin, de la part des préfets de département, dans nos espaces portuaires stratégiques, l’application du 5e volet des sanctions pris à la suite des massacres de Boutcha ? Attend-il qu’un missile balistique tombe sur l’Île Longue pour interdire la présence du navire ambassadeur de Poutine et de Choïgou en rade de Brest ?

« pourrait évoluer en fonction…des risques de troubles à l’ordre public »

Les services de Ceclant Premar Atlantique sont-ils en train de suggérer que seuls des « troubles à l’ordre public » pourraient faire appliquer les sanctions portuaires interdisant la présence du « Shtandart » dans les ports bretons ? Seuls des « troubles à l’ordre public » pourraient mettre fin au passe-droit illégal du « Shtandart » prévalant aujourd’hui ? De tels propos, sont inadmissibles. C’est tourner en dérision la signature internationale de la France et son État de droit. Ne, nous y trompons pas. Si, à Brest, voire de la Bidassoa au Couesnon, il y a des « troubles à l’ordre public », les représentants de l’État en seront la seule cause du fait d’un couple Premar Atlantique-Préfet de département qui, pour le profit d’intérêts russes, n’applique pas la loi. Dans ces circonstances, il est à espérer que les poursuites administratives iront de pair avec les poursuites pénales prévues par l’UE. On rappelle qu’être un agent public est une circonstance aggravante dans le cas d’une fraude aux sanctions européennes.

Quoiqu’il en soit, le message est reçu chez ceux qui militent pour l’application du 5e volet des sanctions. Il apparaîtrait étonnant que les Ukrainiens, qui ont trouvé refuge chez nous, osent manifester leur « trouble » de façon véritablement dérangeante pour nos fonctionnaires. Il s’agit, à plus de 90%, de femmes avec enfants. Ils sont bien tenus en main par les aumônes de leurs municipalités d’accueil. Mais ne nous berçons pas d’illusions. En août 2022, j’étais présent physiquement à Kyiv, Gostomel, Boutcha, Borodyanka, Odessa et Lviv. Mes interlocuteurs disaient déjà: « Штандарт має бути спалений! Штандарт має бути потоплений! ». Depuis l’exaspération n’a fait que croître.

Boutcha proteste contre le viol des sanctions par le Shtandart
Une affaire interne ? Habitants de Boutcha protestant contre le viol des sanctions par le « Shtandart »

Pour tout.e Ukrainien.ne, le « Shtandart », c’est le « Moskva »: « Русский военный корабль, иди на хуй! ». Il viendra un moment où le collectif No Shtandart In Europe sera marginalisé en raison de son pacifisme, de son légalisme et de son absence de résultat en France. Rappelons que le « contexte géopolitique », pour citer la préfecture maritime, est une guerre d’anéantissement du peuple ukrainien, de destruction de son patrimoine, de remplacement de sa culture et d’éradication de sa langue. Certains civils ukrainiens, mobilisés depuis deux ans sur le front, et qui ont survécu, considèrent la propagande impérialiste du « Shtandart », navire de Pierre le Grand, comme une cible militaire légitime. On ne peut pas exclure un court séjour en France de leur part, à cette seule fin. On connaît leurs exploits en territoire russe.

Selon la préfecture maritime de l’Atlantique, « ce n’est pas raisonnable de laisser penser que le Shtandart vient faire du renseignement et que les services de l’État sont naïfs. Le cas de ce navire a été étudié pas mal de fois par le secrétariat d’État à la mer en raison de sa visibilité particulière et de la personnalité médiatique du capitaine ».

Ouest-France, 29/03/2024 – Le navire russe Shtandart, autorisé à s’amarrer dans les ports de France, embarrasse ses protecteurs

On a là un argument d’autorité typique. Un officier général sait que cet artifice fonctionne avec des subordonnés, mais il doit comprendre que cela ne peut pas marcher auprès de citoyens à qui il a des comptes à rendre. Décortiquons, néanmoins, la tirade de la préfecture maritime.

« laisser penser que le Shtandart vient faire du renseignement »

Sophisme, personne n’a jamais affirmé que le « Shtandart » vient spécifiquement faire du renseignement. En revanche, notre collectif a largement détaillé pourquoi Vladimir Martus et le « Shtandart » cochent toutes les cases des risques qui en font un potentiel collecteur de renseignement. Ouest-France en a, d’ailleurs, alerté ses lecteurs, le 8 mars 2024. 

Nous avons signalé, à la préfecture maritime, dès le 30 juin 2022, que le « Shtandart » avait déconnecté son AIS à l’image des autres navires russes qui contournent les sanctions. Rien n’a été fait, à part nous répondre que le « Shtandart » était exempté de la convention SOLAS. En conséquence, le navire ambassadeur de Poutine et de Choïgou débarque à l’impromptu quand il veut et où il veut, notamment à Brest, Camaret et Douarnenez. Rappelons que sa coque et ses mâts en bois ainsi que ses haubans textiles ont une très faible signature radar. Ces caractéristiques, jointes à la déconnexion de son AIS, font qu’il est impossible de savoir où se trouve le « Shtandart ». Sans même parler des risques de collisions accrus, il est illusoire de vouloir suivre ses mouvements. 

Pour information, toujours en juin 2022, j’ai eu au téléphone l’officier de quart du Cross Étel au sujet du « Shtandart » et de son AIS. Tout allait bien selon lui. Je cite ses propos. « Le Shtandart est sous pavillon français et navigue avec un équipage français ». C’est dire si une veille attentive est exercée concernant le navire russe sous sanctions… Qui est naïf ?

Le 24 mars 2023, notre collectif a proposé un rendez-vous, au service « action de l’État en mer » de Premar Atlantique et au service « renseignements » de Ceclant Opérations pour échanger sur le règlement européen et sur le travail de faussaire de la DNRED, ainsi que pour faire part des éléments préoccupants collectés sur Vladimir Martus et sur le « Shtandart ». Aucune réponse n’a été reçue. Pourtant, cela aurait permis à la préfecture maritime de découvrir, avec un an d’avance, l’essentiel de ce que Mme Laetitia Jacq-Galdeano, reporter à Ouest-France, a révélé dans ses deux excellents articles du 29 mars 2024.

Sur le sujet, à la différence des services du préfet maritime, des spécialistes du renseignement, de la Russie, des Russes et de méthodes russes peuvent, eux, réellement user de l’argument d’autorité sur un domaine qu’ils maîtrisent parfaitement. Ils s’accordent pour dire que le « Shtandart » représente un risque pour la sécurité nationale. Ce ne sont pas les assertions à l’emporte-pièce de la préfecture maritime qui lèveront leurs doutes.

On prendra un seul exemple qui a choqué des dizaines de milliers de citoyens. Le 17 août 2023, à Saint-Nazaire, deux hommes aux cheveux très courts, parlant russes, tranchant avec le look beatnik de l’équipage prennent passage à bord du « Shtandart » qui arrive des Sables d’Olonne et part vers Brest. Sur le quai, deux pieds nickelés des services de sécurité de la préfecture ou de la sous-préfecture importunent, à coup de propos de comptoir, une activiste ukrainienne et l’auteur de ces lignes pendant une demi-journée. S’occupent-ils des deux barbouzes du « Shtandart » ? Non. Ont-ils parlé de ces deux barbouzes à Ceclant ? On peut en douter. L’événement suscite plus de 73 600 vues sur Twitter. L’irresponsabilité des services de l’État est sévèrement critiquée. Autant pour l’argument d’autorité.

Shtandart Saint-Nazaire
https://twitter.com/BernardGrua/status/1692514368108269611
https://twitter.com/AllaPoedie/status/1692658307297681844

« laisser penser que… les services de l’État sont naïfs. »

Sophisme encore. Si notre collectif a souvent affirmé que de nombreux citoyens français étaient naïfs à l’égard des méthodes russes, il n’a jamais soutenu rien de tel concernant les services de l’ État. Pourtant, la question mérite d’être posée. Car si l’on peut considérer que ces services ne sont pas naïfs, alors il faut comprendre qu’ils connaissent la réalité de Vladimir Martus et du « Shtandart » ainsi que l’irrégularité du passe-droit de la DNRED. En conséquence, ils mentent à leurs concitoyens. In fine, ne resteront crédibles que le maire de Lorient, Fabrice Loher, le maire de Saint-Nazaire, David Samzun, et le Quai d’Orsay. Toutes les autres autorités se trompent ou trompent les Français. Ce sont des « idiots utiles », dans le meilleur des cas. Pour le reste, il appartiendra à la justice d’en décider.

Communiqué de presse du maire de Saint-Nazaire condamnant l'escale du Shtandart dans sa ville
Communiqué de presse du maire de Saint-Nazaire condamnant l’escale du Shtandart dans sa ville

« Le cas de ce navire a été étudié pas mal de fois par le secrétariat d’État à la mer. »

Il est généralement prétendu que l’affaire du « Shtandart » est suivie, on peut dire soutenue, par le Secrétariat général de mer, organisme intergouvernemental directement rattaché au Premier ministre. Son dirigeant est Didier Lallement, inoubliable préfet de police de Paris, peu connu pour son expertise maritime. Mais, là, maintenant, on nous dit que c’est le Secrétariat d’État à la mer, une sorte de ministère de la mer au rabais, qui est en charge du dossier. On ne comprend même plus qui fait quoi, qui est responsable de quoi. Quant au très vague « pas mal de fois » où « le cas de ce navire a été étudié », par on ne sait plus qui, posons quelques questions.

  1. Les renseignements militaires ont-ils, une seule fois, enquêté sur le « Shtandart »?
  2. Ont-ils procédé à une fouille approfondie du navire, de la quille à la pomme du grand mât ?
  3. Se sont-ils assuré qu’ils avaient identifié tous les moyens acoustiques et électroniques du navire ?
  4. Les ont-ils testés ?
  5. Dans le cas improbable où ils l’ont fait, ont ils eu, aussi, une connaissance préalable des éléments révélés par Ouest-France ?
  6. Si oui, pourquoi le « Shtandart » fréquente-t-il nos ports en toute illégalité ? 
  7. Si non, comment Ceclant peut-il justifier de telles fautes professionnelles ?  

« sa visibilité particulière (du « Shtandart ») et de la personnalité médiatique du capitaine »

La préfecture maritime utilise le même argument que le Quai d’Orsay. Mais la première soutient que cela justifie le viol du 5e volet des sanctions, le deuxième y voit de bonnes raisons pour ne pas faire d’exceptions en faveur du « Shtandart ». Amateurisme, quand tu nous tiens.

Pour ceux qui désireraient aller au-delà de l’écran de fumée produit par les services de la préfecture maritime Atlantique, concernant « la personnalité médiatique du capitaine »on ne peut, encore une fois, que recommander le travail professionnel du journal Ouest-France: Opposant ou propagandiste de Poutine, qui est le capitaine du Shtandart invité en Bretagne ?

Ce courrier est public et partageable sur les réseaux sociaux : https://bernardgrua.net/2024/04/04/ceclant-shtandart-interets-russes/

Sincères salutations,

Bernard Grua
Lieutenant de vaisseau (R), SN au COM Brest
Animateur du collectif lanceur d’alerte « No Shtandart In Europe »
Contributeur à l’ouvrage de Laurent Chamontin (Diploweb): « Ukraine et Russie pour comprendre »
Contributeur d’ « Ukrinform » et « Ukraine Crisis Media Center »
Cofondateur et ex porte-parole du collectif international « No Mistrals for Putin »

Publié par Bernard Grua

Graduated from Paris "Institut d'Etudes Politiques", financial auditor, photographer, founder and spokesperson of the worldwide movement which opposed to the delivery of Mistral invasion vessels to Putin's Russia, contributor to French and foreign media for culture, heritage and geopolitics.

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