L’aide des communautés russes aux réfugiés ukrainiens

Ann Shevchenko - Aide des communautés russes aux réfugiés ukrainiens
En France, les réseaux pro-russes se sont remarquablement adaptés au contexte lié à l’invasion à grande échelle déclenchée par la russie en Ukraine, le 24 février 2022. Sans renoncer à leurs objectifs, ils y ont gagné un surcroît de visibilité, de reconnaissance et d’efficacité. Notre contributrice ukrainienne, Anna Shevchenko, nous fait part de son expérience concernant les mécanismes internes de ce processus. Il s’agit là d’un témoignage unique très précieux et riche d’enseignements pour des Français qui n’en perçoivent que le décor externe grâce à une communication parfaitement maîtrisée.

Texte traduit de l’anglais.

Je voudrais souligner que dans mes publications, je ne parle que de mon expérience en tant que personne vivant dans une région particulière d’un pays particulier. Je ne prétends pas qu’il s’agit d’une vérité universelle. Peut-être que les expatriés russes d’autres pays et d’autres villes agissent de manière plus sensée. Mais n’oublions pas que les communautés russes, partout et toujours, se concentrent exclusivement sur leurs objectifs et sur le profit qu’elles peuvent en retirer. Elles utilisent les Ukrainiens dans le besoin comme un outil au service de leurs intérêts.

Le recentrage des réseaux russes

Lorsque l’invasion à grande échelle a commencé, la communauté russe de la ville où je vis actuellement a remis à plus tard tous ses projets de promotion de la culture russe et s’est concentrée sur l’aide aux réfugiés. Non, elle n’a pas cherché à changer le système qui lance des missiles et force des citoyens pacifiques à devenir des réfugiés. L’idée qu’en promouvant cette culture pendant des années, ils ont donnée à de nombreuses personnes une raison de se considérer comme des êtres puissants et supérieurs, faiseurs de destin, ainsi que comme des réorganisateurs de la carte du monde, ne leur est pas venue à l’esprit. Je pense que beaucoup de Russes ont franchi la ligne rouge et appuyé sur la gâchette pour la première fois précisément à cause de l’idée de leur suprématie et de leur grandeur. Et ils en profitent même, car ils peuvent dire « Regardez comme nous sommes altruistes, nous aidons les réfugiés au lieu de promouvoir les ballets russes ».

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L’aide comme promotion du « monde russe »

Dans leurs forums de discussion créés pour aider les Ukrainiens, les communautés russes demandent d’écrire en russe. La langue ukrainienne créerait des problèmes pour les bénévoles, ceux-ci ne pourraient pas répondre à temps. Et ils ne sauraient pas que « Google Translate » existe ! Ces activistes embrigadent les Ukrainiens des régions russophones, car, ironiquement, ce sont les régions que la Russie bombarde le plus. Ils leur proposent des magasins russes, des cours de russe pour les enfants ukrainiens, des livres russes et des activités russes. Ils accomplissent littéralement ce qu’ils faisaient avant l’invasion à grande échelle : promouvoir la culture russe, cette fois-ci non pas auprès des citoyens de leur lieu de résidence, mais auprès des Ukrainiens à leur merci.

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L’aide comme ferment de discorde entre les Ukrainiens

Les russes utilisent les Ukrainiens et les montent les uns contre les autres. On dit souvent que les Ukrainiens, petits, fragmentés et faibles, sont incapables de faire quoi que ce soit de comparable aux russes, grands et puissants, qui vont même jusqu’à manifester silencieusement de temps en temps. Nous devrions agir à leur image. À mon avis, si nous avions suivi l’exemple des russes dans nos protestations, nous aurions besoin de forums d’aide aux Polonais et aux citoyens des pays baltes, et non pas d’aide aux réfugiés ukrainiens. Et Ianoukovitch aurait montré sur la carte, à partir d’où, en Ukraine, était planifiée l’attaque contre la Pologne ou contre les pays baltes. Ce n’est pas le rôle des russes d’apprendre à quiconque, en particulier aux Ukrainiens, comment s’organiser, s’opposer et manifester. Leur mouvement de protestation a échoué bien avant même le début de cette invasion à grande échelle.

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L’aide comme négation de l’identité ukrainienne

Dévalorisation de tout ce qui est ukrainien sous la devise préférée des Russes « Allons, allons, quelle différence cela peut-il faire ? ». Parlez russe, allez dans des magasins russes et participez à des « chats » en ligne russes, vous y obtiendrez plus d’aide. Je vois de temps en temps des russes rejoindre des forums de discussion ukrainiens et attirer les gens de ces groupes vers leurs grandes et « puissantes » communautés russes. Les règles de leurs groupes interdisent de propager la haine ethnique et raciale. Mais cela ne s’applique qu’aux déclarations anti-russes. Les auteurs de ces affirmations anti-russes sont bannis. En revanche, les administrateurs des forum autorisent tranquillement et discrètement les proclamations anti-ukrainiennes en observant les querelles qu’elles suscitent. Ils commentent les déclarations pro-russes avec des phrases telles que « Merci pour votre soutien ».

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L’aide comme bâillon

Le soutien se fait au prix du silence. Je ne les ai appelés à l’aide qu’une seule fois, au début de l’invasion à grande échelle. J’ai demandé des casques, des chaussures et des gilets pare-balles. On m’a dit d’enlever ma publication. Les Russes ne peuvent rien de plus pour moi. Chaque fois que je m’indigne du caractère ostensible de la propagande de la russie, de sa langue et de sa culture, on me dit que, puisque j’utilise leur secours, je n’ai pas le droit de me plaindre. Hé, les gens, comment pouvez-vous vraiment m’aider ? En m’informant que je peux acquérir du sarrasin dans un magasin russe ? Je peux le trouver dans des magasins turcs. Les Ukrainiens n’échangent pas leur dignité nationale contre des informations sur l’endroit où acheter un équivalent du kéfir et contre l’impression d’une capture d’écran montrant un horaire de train. Non, vraiment, cela n’en vaut pas la peine.

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Post-scriptum

Je peux ajouter qu’après la publication de ce billet sur Facebook, j’ai été exclue du groupe créé pour « aider » les Ukrainiens au sujet duquel je suis en train d’écrire. Je pense que cela démontre bien les actions des Russes visant à faire taire les réfugiés ukrainiens. Soyez silencieux ou vous n’obtiendrez pas d’aide. Et c’est la raison pour laquelle la plupart des Ukrainiens se taisent. Confus et effrayés, dans un nouveau pays ou dans une nouvelle ville, sur lesquels ils manquent d’informations. Ces malheureuses personnes ont peur de perdre les miettes d’une aide, ou du moins l’espoir d’une aide. C’est répugnant. C’est un sordide instrument d’influence. Mais les communautés russes n’en ressentent aucune honte.La russification contre une traduction lors d’une visite chez le médecin, voire contre l’adresse d’un magasin où l’on peut obtenir gratuitement des invendus, une demi-heure avant la fermeture, me font penser à un marché avec le diable. Là, en échange de votre âme, on vous fait l’aumône de rebuts. Et lorsque vous vous rendez compte de la supercherie, il est déjà trop tard.

L’année prochaine, la Russie organisera des élections. De nombreux Russes se plaignent de n’avoir aucun choix à faire parce qu’il n’y a pas de remplaçant ou d’opposant à Poutine. Mais les Russes observent, depuis 22 ans, sans parler et sans interférer, comment Poutine élimine, réduit au silence et asservit progressivement ses opposants. Les dirigeants russes font disparaître les citoyens qui peuvent les blâmer. Les russes de ma ville bloquent les personnes qui les critiquent. Bien sûr, il est préférable de russifier les réfugiés ukrainiens sans défense et effrayés dans la discrétion la plus complète. Mais de plus en plus souvent, des voix se font entendre dans ce strident silence. Et j’espère que le nombre de ces voix augmentera avec le temps. On peut essayer de faire taire et d’intimider un individu en particulier, mais on ne peut pas faire pression sur des dizaines et sur des centaines de personnes aussi facilement. Et, si je ne me trompe pas, nous sommes plusieurs milliers ici.

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Annexe

Exemple 1 – le cas de l’association Russies étonNantes

Noter le pluriel à « russies »

Exemple 2 – le cas de l’association France-Russie-CEI Nantes

Ex association « France-URSS »

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Publié par Guest #NoShtandartInEurope

#NoShtandartInEurope is the international committee for the full application of the fifth package of European sanctions and against russian ship "Shtandart" promoting putin's russia in European ports.

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