Lettre au préfet du Pas-de-Calais lui demandant, comme il en a le devoir, de ne pas collaborer à la fraude du navire Shtandart représentant du régime de Poutine. Démonstration de la vacuité technique et morale, voire de la malhonnêteté, des arguments invoqués pour « justifier », lors du festival « Escale à Calais » organisé par la FRCPM, du contournement des sanctions européennes prises à la suite des massacres russes de Boutcha.
A l’attention de:
- M. Jacques Billant, Préfet du Pas-de-Calais
pref-secretariat-prefet@pas-de-calais.gouv.fr
Copies:
- Mme Véronique Deprez-Bourdier, Sous-préfète de Calais
sp-calais-secretariat@pas-de-calais.gouv.fr - Mme Natacha Bouchart, Maire de Calais
courrier@mairie-calais.fr - M. David O’Sullivan, Envoyé spécial pour les sanctions, Commission européenne
- Ambassade de l’Ukraine en France
- M.Etienne Mourmant, Consul honoraire de l’Ukraine pour la région Hauts de France
- Jean-Pierre Pasternak, Président de l’Union des Ukrainiens en France
- Mme Christine Kohut, Fondatrice d’Ukraine Mémoire
- Mme Natalia Verlyck Pozhylova, Présidente de Solidarité Flandres Ukraine
- Mme Olena Kozel Bresson, Présidente de Vilna Ukraina
- Journal Nord Littoral
Le 22 juin 2023
Monsieur le Préfet du Pas-de-Calais,
Selon la Commission européenne, les préfets de département sont en charge de l’application des sanctions prises à la suite des massacres de Boutcha concernant les navires russes. C’est donc vous qui porterez la responsabilité ultime de la prestation du Shtandart et de son capitaine-propriétaire, Vladimir Martus, à l’événement « Escale à Calais » du 23 au 26 juin 2023. C’est pourquoi notre collectif #NoShtandartInEurope a porté une attention particulière aux justifications que vous avez invoquées auprès du média « Nord Littoral » le 19 juin 2023 : « La Préfecture répond à la polémique autour du passage du Shtandart à Calais ». Il ne s’agit pas d’un simple différend local, mais d’une affaire internationale engageant la signature de la France.
- Vladimir Martus et ses troublantes accointances avec le régime russe
- Le règlement européen et la fraude du Shtandart
- La fausse sécurité de la « couverture » de la fraude par la DNRED
- La non-pertinence de l’antériorité
- Les dessous d’un « message de paix »
- La dangereuse profanation du pavillon ukrainien
« Vladimir Martus, n’a jamais cessé de clamer haut et fort son aversion pour la politique de Vladimir Poutine ».
Rédaction « Nord Littoral », 19 juin 2023
Je ne reviens pas sur cette assertion reprise par « Nord Littoral ». Le 15 juin 2023, nous avons communiqué suffisamment d’éléments, documentés de sources russes, aux journalistes de ce média, pour qu’ils sachent qu’il s’agit d’une propagande mensongère. Lire: « Escale à Calais, ce qu’il ne faut pas savoir sur les liens de Vladimir Martus avec le pouvoir russe ». Libre à eux d’avoir décidé de ne pas en tenir compte. Nous savons que c’est ainsi que procèdent les médias partenaires des événements maritimes. En revanche, je me permets de vous mettre en garde. Un représentant du ministère de l’Intérieur ne peut pas ignorer ces faits troublants pouvant, éventuellement, avoir un impact sur la sécurité nationale.
Rappel du règlement européen
Monsieur le Préfet, il ne vous est pas trop tard pour lire de l’article 3 sexies bis du règlement Ue n°833/2014 et les conventions pertinentes mises en référence de son paragraphe 3 alinéa « a ». Vous pourrez complètement mesurer l’ambition d’exhaustivité de cet article en prenant connaissance, aussi, de la directive 2013/53/UE indiquée à l’alinéa « c » du paragraphe 3. Vous observerez que le yacht privé Shtandart ne peut pas s’exclure de nombreuses conventions pertinentes. S’il échappe, de façon très contestable, à la convention SOLAS (a titre d’exemple, il embarquait, chaque jour, 75 passagers sur le Golfe du Morbihan), il entre alors mécaniquement dans les navires concernés par l’alinéa « b » du paragraphe 3.
En conséquence, tout lecteur attentif ne peut que convenir que le navire Shtandart immatriculé sous pavillon russe a interdiction de séjourner dans les ports européens, et a fortiori français, depuis le 16 avril 2022. Il n’entre dans le champ d’aucune dérogation prévue à l’article 3 sexies bis. Sa présence dans le port de Calais est bien une fraude. Pour plus de détail, lire ce que j’écrivais, le 17 juin 2023, aux journalistes de « Nord Littoral » : « L’article 3 sexies bis du règlement européen n°833/2014 vise bien à l’exhaustivité » et « De jure, seul le règlement européen a force de loi. Il confirme l’illégalité de la présence du navire russe Shtandart dans nos ports ». Les justifications dont on vous a demandé de vous faire le porte-parole pour accepter, voire pour encourager cette fraude, ne sont pas recevables, et pas seulement par notre collectif.
« Le navire Shtandart est considéré comme un navire de construction traditionnelle, ce qui l’exclut de facto des navires soumis au champ d’application du règlement (qui interdit aux navires russes de s’arrêter dans les ports français, ndlr). » –
Préfet du Pas de Calais sur « Nord Littoral », 19 juin 2023
Le texte européen visant à l’exhaustivité ne « liste » aucune « catégorie ». Il n’utilise, d’ailleurs, pas le terme « catégorie ». Il dit que TOUT navire immatriculé en Russie entre dans le champ des sanctions. En invoquant l’expression « navire de construction traditionnelle », vous vous écartez du règlement UE dont vous avez le devoir d’assurer l’application. Ce faisant, vous vous appuyez, volontairement ou non, sur un email non signé de la Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières (DNRED). Je ne reviendrai pas sur tous les détails fournis précédemment à « Nord Littoral ». « Le courrier de la DNRED pose des questions de fond et de forme. Les conditions de sa rédaction interpellent » et « Le texte de la DNRED est incompatible avec le règlement européen ». Je souligne juste que la « position » de la DNRED est un endossement d’une réécriture fallacieuse, de l’article 3 sexies bis. J’attire votre attention sur le fait que la DNRED a tenu, curieusement, à dégager sa responsabilité quant à cette réécriture. Elle en rejette les torts sur deux boucs émissaires : Patrice Bernier, directeur du port de plaisance de La Rochelle, et la Direction Générale du Trésor (DGT). L’implication de Patrice Bernier, en conflit d’intérêt manifeste, dans le schéma de contournement des sanctions est incontestable tant, elle est documentée. Mais ce lampiste suffirait-il à absoudre le plus haut représentant de l’Etat dans le Pas-de-Calais ? On peut sérieusement en douter. Pour ce qui est de la DGT, sa mise en cause sera beaucoup plus difficile à prouver. La DNRED, en contradiction avec la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978, a refusé de nous communiquer le document de la DGT sur lequel elle prétend s’appuyer. C’est dire si sa position est faible. On ne voit donc pas ce que vous pourriez légalement objecter au Quai d’Orsay, en charge de la coordination générale des sanctions, et ainsi qu’à la Commission européenne.
Je mets, d’ailleurs, M. O’Sullivan, envoyé spécial pour les sanctions de la Commission européenne, en copie de ce courrier. Vous risquez d’être bien seul quand viendra effectivement l’heure des vraies explications.
Les autres « justifications », qui vous ont été préparées et que vous transmettez à « Nord Littoral » n’ont aucune dimension juridique. Elles n’ont pas plus de valeur morale. Elles ne sont qu’un narratif destiné à certains médias peu regardants et à une opinion publique peu concernée par la réalité de la guerre russe en Ukraine, tout en étant victime de la mystification du Shtandart. J’y reviens néanmoins rapidement pour souligner le capharnaüm dans lequel cette affaire est embourbée, pour avoir été traitée avec légèreté par les autorités et la presse françaises, à la différence des autorités et de la presse de Galice espagnoles. De leur côté, les réseaux russes et pro-russes ont usé, hélas, d’une véritable stratégie et d’un excellent professionnalisme.
Il « convient de noter que ce navire a déjà fait escale dans plusieurs ports français. »
Préfet du Pas de Calais sur « Nord Littoral », 19 juin 2023
Monsieur le Préfet, ceci n’est pas une clause de dérogation prévue dans le règlement européen. Il est choquant de noter qu’un représentant du ministère de l’Intérieur en soit conduit à devoir invoquer la répétition d’une infraction pour considérer qu’elle aurait valeur de jurisprudence, voire force de loi. L’antériorité ne vaut pas quitus pour aujourd’hui. En effet, il faut distinguer deux phases dans les éventuelles poursuites contre les collaborateurs à la fraude aux sanctions du navire russe. Les complicités pour des infractions postérieures au 28 novembre 2022 seront plus sévèrement punies que celles qui les ont précédées depuis le 16 avril 2022. A partir du 28 novembre 2022, le Conseil a ajouté la violation des mesures restrictives à la liste des infractions pénales de l’UE. Le viol des sanctions rejoint donc des crimes tels que « le terrorisme, la traite des êtres humains et l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants, le trafic illicite de drogues, le trafic illicite d’armes, le blanchiment d’argent, la corruption, la contrefaçon de moyens de paiement, la criminalité informatique et la criminalité organisée ».
« Le navire… (délivre) un message de paix ».
Préfet du Pas de Calais sur « Nord Littoral », 19 juin 2023
Ceci n’est pas, non plus, une clause de dérogation prévue dans le règlement européen. Mais il faut surtout souligner qu’il s’agit d’une invocation régulière des réseaux pro-Moscou en France et en Russie. L’objectif est d’obtenir l’arrêt des combats de l’armée ukrainienne, la consolidation des acquis territoriaux de la Russie en Ukraine et l’abandon des populations civiles sous occupation afin de faciliter leur dé-ukrainisation et leur déportation ainsi que leur soumission à d’inqualifiables criminels de guerre, comme nous le rappelle le mandat d’arrêt international de la CPI émis contre Vladimir Poutine et Maria Lvova-Belova. C’est dire si ce type d’allégations est à prendre avec précautions.
« Le navire arbore également le pavillon ukrainien. »
Préfet du Pas de Calais sur « Nord Littoral », 19 juin 2023
Ceci n’est pas, enfin, une clause de dérogation prévue dans le règlement européen. Mais là n’est pas le pire. Hisser les couleurs ukrainiennes en pavillon de prise sur un navire russe relève de la « maskirovka ». Il s’agit d’une manœuvre de la part des Russes ou des pro-russes qui ne voient l’Ukraine que comme un des territoires de la Fédération de Russie, voire de l’empire, dont ils aspirent à la reconstruction. Je rappelle le pin’s ukrainien de Marine Le Pen sur le marché d’Hénin-Beaumont et le drapeau ukrainien flottant à Saint-Pétersbourg lors de la dernière conférence interparlementaire de la CEI.


Pour les Ukrainiens, il ne s’agit pas seulement d’une provocation inacceptable, mais d’une profanation. Depuis 2014, dans les territoires occupés par les Russes, des citoyens sont torturés et assassinés pour détenir un drapeau ukrainien. Aujourd’hui, les mobilisés ukrainiens meurent pour défendre les couleurs de leur pays.

La venue du Shtandart à Calais aurait été préparées avec toute la prudence qu’elle impose, la préfecture et les organisateurs d’Escale à Calais n’auraient pas manqué d’apprendre qu’une telle exhibition du pavillon ukrainien par le Shtandart a été interdite à La Rochelle, à Camaret, dans le Golfe du Morbihan et à Rouen. Je vous suggère de prendre contact avec les différentes autorités concernées. Je vous invite à lire ce que Mme Victoria Nikolenko écrivait à l’Armada Rouen, qui a finalement renoncé à ce jeu funeste. Une mascarade aussi ignoble présente un risque clair de trouble à l’ordre public. Les imprécations belliqueuses du président de la FRCPM sur « Nord Littoral », le 14 juin 2023, montrent un jusqu’au boutisme de sinistre augure. Lire: « Perturbations à Calais ? », « Opération anti-terroriste » et « Fauteurs de troubles ». Je tiens à dégager ma responsabilité et celle du collectif #NoShtandartInEurope si, à Calais, une telle forfaiture était admise, voire encouragée. Je ne serai plus en mesure de contenir en de pacifiques et familiales manifestations l’indignation que suscite, en France et en Ukraine, la complaisance des autorités françaises à l’égard de la fraude aux sanctions de Boutcha par le navire russe Shtandart.
Je suis à votre entière disposition pour de plus amples informations concernant le résultat de nos investigations relatives au navire russe Shtandart et vous prie d’agréer, Monsieur le Préfet, l’expression de mes salutations distinguées.
Bernard Grua
Porte-parole du collectif #NoShtandartInEurope, Lieutenant de Vaisseau (R), navigateur féru de patrimoine maritime, cofondateur et ex porte-parole du collectif « No Mistrals for Putin », contributeur à l’ouvrage de Laurent Chamontin « Ukraine et Russie pour comprendre », contributeur à « Russia Beyond », « Ukraine Crisis Media Center », « Ukrinform », etc.
Article publié sur Nord Littoral


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