Certains disaient que plus d’un millier de participants se sont rassemblées. Ce n’est pas impossible. Mais l’événement semblait largement improvisé. Il n’avait rien d’une manifestation. Il n’y avait pas de mégaphone. Il n’y avait aucun visuel. Aucune force policière, aucun service d’ordre n’était perceptible. Quelques très rares personnes portaient de petites pancartes. Elles étaient invisibles. De toute façon, l’endroit était fort mal éclairé. La chaîne de télévision France 3 était présente, mais avec un matériel très léger. Peut-être y a-t-il eu quelques discours de personnes montées sur le sous bassement du monument? Toutefois, elles n’étaient pas audibles. A deux reprises, le premier couplet de la Marseillaise a été entonné avec timidité.
La discrétion prévalait dans cette assemblée qui paraissait réunir des citoyens ordinaires mais non des militants. Ceux avec qui j’ai eu l’occasion d’échanger ne manifestent pratiquement jamais. Ils disaient être venus, appelés par un contexte et une parole publique devenue insupportablement antisémite. Les années trente, et la passivité d’alors, étaient une référence commune. Au détour des conversations, j’ai appris la religion de mes quelques interlocuteurs. Ils étaient de confession catholique. Peut-être ceux avec qui j’ai pu parler étaient-ils comme moi ? C’est à dire qu’ils étaient venus seuls ou en couple. Ils ne connaissaient personne. Ils ne faisaient partie d’aucune des communautés politiques, religieuses, familiales ou associatives présentes, si tant est qu’il y en eu. Ils étaient, ainsi, plus disponibles. Quoi qu’il en soit, l’atmosphère était digne mais emprunte de sympathie et de bienveillance.
Ceux que j’ai entendu étaient prêts à participer à une nouvelle mobilisation. J’ai eu l’occasion de suggérer à des interlocuteurs qu’il faudrait renouveler cette opération mais en plein jour et pendant un week-end. «C’est impensable » me fut-il répondu. Le vandalisme, les destructions et les affrontements sont devenus rituels, chaque samedi, dans le centre de Nantes.
Il n’y avait donc aucun slogan, aucune banderole, aucun drapeau, aucune évidence de la présence de partis politiques ou de personnalités publiques. Et pourtant France 3, à la fin, a réussi à interviewer les seules cinq personnes, qui portaient un gilet jaune sur les centaines de présentes. Choqué, je suis intervenu. J’ai fait part de mon étonnement au journaliste et à ces « Gilets Jaunes ». Les images enregistrées ne me paraissaient pas honnêtes dans la mesure ou, en aucun cas, ces personnes n’étaient représentatives de l’assemblée. Mes paroles furent mal reçues par l’intervieweur et les interviewés. Les propos étaient agressifs. Les individus concernés, pour dire les choses sobrement, étaient très tactiles. Les menaces ouvertement exprimées se seraient probablement concrétisées en l’absence de la caméra. Ce fut irritant.
Une fois la « manifestation » dispersée et après avoir fait retomber la tension, j’ai questionné ces « Gilets Jaunes » sur la forte implantation de l’extrême droite (d’orientation néo-fasciste, voire néo-nazie) dans le mouvement, sur l’antisémitisme largement affiché et sur les destructions. Naïveté ou discours bien rodé, ils m’ont parlé d’un monde virtuel.
« Nous-les-Gilets-Jaunes, on est des gentils (voir les menaces émises précédemment). Nous sommes pacifiques. Nous demandons seulement la revalorisation du SMIC et des retraites. Non, il n’y a aucun extrémiste chez les Gilets jaunes Nous les avons chassés. Nous-les-Gilets-Jaunes, nous ne sommes pas antisémites. Nous-les-Gilets-Jaunes n’avons rien à voir avec le « Rassemblement National » (ex FN, parti de marine Le Pen). La preuve, le RN a voté contre la revalorisation du SMIC et contre la remise en place de l’ISF. Nous-les-Gilets-Jaunes n’appelons au renversement du gouvernement. Les destructions sont le fait de gamins qui ont autour de treize ans. Cela se passe après nos manifestations qui sont calmes. C’est voulu et encouragé pour décrédibiliser le mouvement. D’ailleurs, c’est pour ça que BFM-TV monte en épingle ces affaires. Macron se sert des Gilets Jaunes pour sa campagne électorale (élections européennes). Les groupes Facebook de Gilets Jaunes extrémistes dont vous nous parlez n’existent pas. Bon, peut-être qu’ils existent mais ce ne sont pas des Gilets Jaunes et puis, de toute façon, ils sont ultra minoritaires. Ce sont les médias qui leur donnent une visibilité anormale». Pas un n’a semblé réaliser le caractère invraisemblable de ce propos compte-tenu de l’importance démesurée que France 3 donnait à leur présence lors de ce rassemblement. « On n’est pas seulement contre l’antisémitisme. Nous-les-Gilets-Jaunes, nous dénonçons le racisme contre les Noirs et les Arabes.». Lorsque j’ai mentionné « Russia Today », la réponse fut : « Nous ne le (sic) connaissons pas ». Demandant quelle était la personnalité qui selon eux incarnait le mieux les revendications des « Gilets Jaunes ». La réponse fut qu’il n’y en avait pas. « Nous-les-Gilets-Jaunes, on est le peuple. On ne se reconnaît dans aucun parti».
Une fois cette « conversation » avec ces « véritables et authentiques » Gilets Jaunes terminée, quelques mots furent échangés avec un homme qui y avait assisté. Il affirmait bien connaître les cinq personnes qui seraient des militants de la « France Insoumise » ( parti populiste de Jean-Luc Mélenchon). Une des femmes de ce petit groupe arborait, effectivement, un tee shirt de la « France Insoumise » et tenait à la main une banderole qu’elle n’avait pas déployée.